Réndodjo Em-A Moundona

Ces Africaines qui portent sur leur dos le poids entier d’un continent

Defricheuses de champs, crédit LBT
Defricheuses de champs, crédit LBT

Ceci est un hymne pour une grande visibilité et reconnaissance de la femme dans le monde des législations. Je fais un appel à plus de protection sociale pour la femme rurale. Cette gardienne de la nation qu´on discrimine, harcèle, bat, viole, répudie, vitriole sans un jugement sévère. Et encore dans ce 21e siècle.

Dans l´Afrique ancestrale, les hommes, quand ils ne peuvent pas aller à la chasse ou à la guerre, ni palabrer, ils se reposent sous l´arbre, s´enivrent de leur vin, joue au D’awalé ou se racontent des histoires. Pendant ce temps-là, les femmes africaines élèvent leurs enfants, vont travailler dans les champs, font le marché, s’occupent du budget et font à manger pour leur famille. Elles portent toute la famille. Aujourd´hui encore, force est de constater que, la femme rurale en Afrique est délaissée à son sort : une condition de vie dure, les moyens de production archaïques. Beaucoup sont victimes des violences conjugales. La femme tchadienne en milieu rural subit la misère dans laquelle la société la contraint à la mort de son mari. Déshéritée, on lui arrache ses enfants avant de la mettre hors du domicile conjugal. Elle perd non seulement l´héritage auquel elle a droit, mais aussi, les biens dont elle a contribué à l´acquisition en commun accord avec le mari défunt. Nombreuses sont les lois ratifiées par le Tchad, mais combien sont réellement entrées en vigueur? Le code de la famille peine à voir le jour à cause des divergences politico-religieuses. La loi 006 portant sur la santé de reproduction est une mort-née qui n´embellit que des tiroirs de l´administration. Il ne suffit pas d´adopter des lois, mais il faut les mettre en application : les auteurs de viol ne sont jamais punis, tout comme les crimes qui sont classés passionnels et classés sans suite.

Mais bon, c´est un problème d´envergure continental. Bien que beaucoup d´Africaines ont un enseignement supérieur permettant l´occupation de postes clés dans l’élaboration des politiques dans tous les domaines, les femmes passent quasi inaperçues dans les instances de décision. Seules 6 femmes sont au gouvernement sur les 42 membres soit 1,5 % ; 29 femmes parlementaires sur 180 députés soit 16 %. Un effectif assez réduit pour impacter et influencer les décisions en faveur de leurs consœurs en milieu rural qui, portent le poids de tout un pays : premières à se lever au chant du coq, elles sont les dernières à se coucher lorsque toute la maison dort. Elles sont la cheville ouvrière du pays car ce sont les premières productrices des denrées de base.

Tous les pays africains logent presque à la même enseigne en dehors du Rwanda qui a 56 % de femmes au Parlement. Les stéréotypes culturels ont la peau dure. La société africaine est encore phallocrate. On aura beau accumuler les journées internationales de la femme les unes après les autres, tant qu´il n´y´aura pas de lois fortes, la protection sociale de la femme, cet être ressource de nos sociétés ne sera qu´un discours de chaque 8 mars.

Je finis l´article avec ces personnalités qui ont honoré la Femme.

 «La femme est l’avenir de l’homme», Louis Aragon, Jean Ferrat

«L’admission des femmes à l’égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation, et elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain», Stendhal

«Femmes, c’est vous qui tenez entre vos mains le salut du monde», Léon Tolstoï

«Appeler les femmes « le sexe faible » est une diffamation ; c’est l’injustice de l’homme envers la femme. Si la non-violence est la loi de l’humanité, l’avenir appartient aux femmes», Gandhi

«Les femmes n’ont pas tort du tout quand elles refusent les règles de vie qui sont introduites au monde, d’autant que ce sont les hommes qui les ont faites sans elles», Montaigne, Essais, III, 5


Bangui, j´accuse. Je nous accuse

Credit photo DR
Credit photo DR

Je n´aime ni accuser, ni pointer du doigt, car les miens non plus ne sont propres. Mais lorsque je vois la société centrafricaine qui s´entre décime, ma vue se brouille dans ce sang. Lorsque j´observe tout un peuple réuni qui se conduit de manière insensée, alors mon entendement s´arrête. Je n’accepterai jamais de garder silence face à un meurtre.

Même si on accuse aujourd’hui mon pays d´être le pompier-pyromane, moi je dirais; laissons ces accusations politico-politiciennes aux seuls intéressés qui s´en abreuvent. Le Tchad peut se targuer d´être le gendarme de l´Afrique, moi je ne m´y reconnais pas. Je suis Tchadienne certes, mais je suis avant tout Africaine. Je me suis tant contenue que je n´en peux plus. J´aurais aimé que nous jeunes Africains fassions une introspection de nous-mêmes. C´est la raison de ce billet. Après tout, nous sommes les éternels perdants. On observe et laisse ces vautours gavés de pouvoir nous voler notre jeunesse au nom des idéaux assez mal définis que la perception de ce Dieu (ou Allah) que nous avons emprunté aux colonisateurs et aux marchands arabes. Au nom de quel Dieu s´entretue-t-on à Bangui ? Un Dieu belliqueux ? J´en doute fort en voyant son œuvre  : la beauté de la nature.

Je ne parle pas de la RCA seulement dans cet article. Je parle d´une Afrique qui se tue, se brise. Il y a vingt ans, c´était le Rwanda. Avant-hier, le Mali et hier le Soudan du Sud. Si tu ne respectes pas ton bien, comment veux-tu qu´un autre le fasse pour toi ? Une génération entière privée d’avenir a basculé dans la violence. Des jeunes qui massacrent, pillent, violent, volent celles qui pourraient être leur épouse, mère, sœurs et filles. Ne venez pas après me dire que l´ennemi c´est l´autre, que notre mal vient d´ailleurs. Oui,  mais qu´en est-il de nous-mêmes ? On accuse Sangaris de faire le lit des anti-Balaka. Soit, mais ont-ils appuyé sur les gâchettes en lieu et place des anti-Balaka ? Je ne vois que des mains africaines comme les miennes qui brandissent les membres découpées des Africains comme eux devant les caméras européennes. On se dévoile petit à petit avec nos haines insensées. « Je m´associe à tout le monde pour faire le bien, mais je ne m´associerai à personne pour faire le mal « disait Frederick Douglass en son temps. Je crois qu´il est temps aussi que la jeune génération africaine reprenne les mêmes pensées de cet abolitionniste américain. Oui, notre silence et notre neutralité face à cette barbarie en RCA seraient une trahison vis-à-vis de nous-mêmes et de nos enfants.

Ces images à longueur de jour sur les chaînes étrangères m’irritent. Je dis, ne pourrions-nous pas renvoyer une autre image de nous ? Est-il si difficile pour nous de comprendre enfin que les guerres et autres massacres ne nous ont rien apporté que la désolation, les larmes, la misère, la souffrance, la haine de l´autre ? Si nous pouvions nous asseoir un jour et faire le bilan de toutes ces guerres africaines. Triste bilan : pillage de nos biens, de nos richesses et de nos matières premières, vandalisme contre nos frères de couleur, destructions de nos biens, trésors (je vois encore les manuscrits de Tombouctou éparpillés) matériels qu´immatériels, … Pourtant ce sont ceux qui détruisent qui payent chèrement après la fin de la guerre.  Notamment cette jeunesse. Les seigneurs de guerre ont toujours eu la vie de pacha ailleurs. Bozizé, Djotodia ainsi que Patassé avant eux  se la coulent douce devant l´océan quelque part à Cotonou ?

J´aurais aimé que chaque potentiel anti-Balaka et futur cannibale qui me lit, retienne ceci : avant de nous laisser emporter par cette soif de sang, il va falloir nous poser des questions du genre : pourquoi dois-je faire la guerre ? Que reproche-t-on concrètement à l´autre? N´y´aurait-il pas une autre solution que la violence ? Et si c´était moi la victime ? Que resterait-il de nous après ? Comment vivrais-je après avec ma conscience ? Ecoutons  ces cris de désolation qui montent des profondeurs de la RCA. Si toute la jeunesse refusait de prendre les armes, ces seigneurs de guerre déposeraient les leurs.


Lisbonne, cette dame qui joue de son charme

Lisbonne, la seule capitale d’Europe se trouvant en quasi-bordure de mer, est une ville contrastée. Moderne et traditionnelle à la fois, Lisbonne cette ville, de par son originalité séduit tout visiteur. Lisbonne est un « domaine où la terre finit et où la mer commence » dixit Camoes. Ville au flair cosmopolite ouvert au monde, la capitale du Portugal est un mélange d´une métropole avec une allure provinciale. Elle a une certaine lassitude qui explique bien ces saudades, musique mélancolique chantée le soir dans les restaurants ou sur l´avenue Liberdade. Un laisser-faire et une lenteur élégante quelconque tout l´opposé au rush hour européen. 

 

Le monument Marques de Pombal Credit Rendodjo
Le monument Marques de Pombal Tout en face l´Avenue Liberdade Credit Rendodjo

Tourné vers l’Atlantique, bercé par les flots du Tage et le fado, la vieille Lisbonne fait chavirer le cœur. Lisbonne est aussi une capitale vibrante, particulièrement la nuit dans les ruelles animées du Bairo Alto. La légende raconte que la ville fut bâtie par Ulysse. De l´aéroport à l´hôtel, on a le temps de contempler le paysage tropical qui s´offre à soi. Des palmiers le long des avenues, rues et ruelles. Cette moiteur tropicale et les vingt-trois degrés affiché par le thermomètre qui font absolument du bien quand on vient d´un peu plus au Nord du Globe. Si on doit faire une visite en 72 heures, voici un bon planning. Jour 1, sortez à 8 heures du lit, offrez-vous un petit déjeuner copieux puis bienvenue dans l’une des plus belles villes d’Europe, mais aussi des plus attachantes. Il faut se mêler à cette foule d´hommes et de femmes dont les tenues impeccables tranches avec les culottes et autres tee-shirts de touristes profitant de la chaleur estivale. 

Carte de la découverte du monde Credit Rendodjo
Carte de la découverte du monde Credit Rendodjo

Au-delà de cette belle ville aux accents poétiques parfois surréalistes, au-delà de ce mélange d’odeurs d’épices, de cannelle qui caractérise Lisbonne et des images de vieux pavés moussus, c´est la diversité raciale qui marque tout visiteur.Une vue des hightlight de la ville s´impose avant de se prélasser au bord de la mer. Passer le restant de la première journée à la tour de Belém avec le monument de la Navigation comme Phare et la carte de la découverte du monde sous ses pieds fait savourer les délices des lointains voyages. La mer, le murmure des vagues et le bruissement du vent dans les feuilles de palmiers des alentours. Au deuxième jour, il faut faire honneur au monument Christi el Rei qui rappel en beaucoup le Christ de Rio de Janeiro. Il faut passer receoir la bénédiction de ce roi-sauveur avant de prendre la direction des plages de Waikiki. Qui ne succomberait pas aux sardines grillées?

 

Christi del Rei Credit Rendodjo
Christi del Rei Credit Rendodjo

 

Le melting-pot lisboète

Le Portugal c´est aussi une population multicolore et multiculturelle. Lisbonne, en étant le reflet, ne possède pas d’individualité et d´uniformité raciale. On n´y rencontre toute sorte de métissage possible pour un résultat des plus sidérant: des noirs aux cheveux blonds, des vrais je vous assure. Des métis aux yeux bleus avec une ethnicité africaine, des Caucases crépus, des métis indo-africains, se mélangeant et se touchant, composant ensemble sans discrimination. On retrouve toute les types de peaux dans toutes les classes sociales. Lisbonne c´est  comme si toute la race humaine s´est donné un rendez-vous dans cette partie de la terre pour accomplir toute les métissages possible au grand dam  des défenseurs de la suprématie raciale.

Le troisième jour et le dernier, il faut se reserver quelques heures de la matinée pour faire une rencontre personnelle avec Lisbonne. Lisbonne se vit, elle ne se raconte pas. Il faut se fondre dans diversité et décocher des bonnes enseignes pour les souvenirs du retour. Il ne faut pas oublier de s´offrir une petite sculpture du célèbre coq de Barcelos comme souvenir de Lisbonne.

L´endroit favorit des jeunes Madrilènes. Ils s´y prélassent au coucher du soleil Credit Rendodjo
L´endroit favorit des jeunes Madrilènes. Ils s´y prélassent au coucher du soleil Credit Rendodjo


Moi petite fille de l´exciseuse, une conversation avec ma grand-mère

Filles initiées Mboum. Au 1er plan, la matrone. elles ne sont pas excisées comme les autres peuples du Tchad. Crédit Capture d´écran ONRTV
Filles initiées Mboum. Au 1er plan, la matrone. elles ne sont pas excisées comme les autres peuples du Tchad. Crédit Capture d´écran ONRTV

Dur, dur de parler de l´excision lorsque l’on vient soit même d´une famille d´exciseuses. Que voulez-vous, on ne choisit pas sa famille mais on peut aller outre le chemin de sa famille. Ici se trouvent une partie de mes conversations avec ma grande tante cette exciseuse qui m’a une fois donné les vraies raisons de l´excision. Je n’accuse pas, je ne plaide pas coupable, je transcris fidèlement ses propos. Oui j’ai échappé à son couteau. Elle en veut à mon père et moi je les aime tous les deux. Chacun à sa manière a voulu faire du bien à sa progéniture que nous sommes mes sœurs et moi.

Ceci est un article que je me serais bien passée d’écrire. Voyez-vous, ce genre de publications que vous hésitez à produire car elles sont une partie de vous. C’est l’histoire d’une personne qu’on aime mais qui a fait des fautes qu’il faut reconnaître. Je veux parler de cette grand-mère qui fut une exciseuse. Je reviens sur nos discussions avec elle quand elle fut encore en vie. J’ai toujours voulu savoir pourquoi elle en voulait tant à notre père qui a refusé de nous laisser passer sous la lame de son couteau. C´est comme si je soulevais un pan de voile sur un secret familial. Qu´importe si cela doit expliquer certains refus, éclaircir certains doutes, je le ferai donc moi, petite fille de l’exciseuse.

Nous avons, mes sœurs et moi, été sauvé de justesse des griffes de la «tradition».  La tante de mon père est une exciseuse attitrée, gardienne de la tradition ancestrale. Sa fierté a toujours été d’exciser toutes ses petites nièces jusqu’au jour où, elle buta sur le refus de mon père de nous laisser emprunter avec elle le chemin de la forêt sacrée. Ses rêves de voir une de nous hériter de son savoir ancestral s’effondra ainsi. Elle a toujours vécu avec le remords et le regret qu’elle laissait par moment échapper quand elle nous observait à la corvée. Curieuse, j’ai toujours embêté grande tante avec mes questions sur les raisons véritables de cette culture de l’excision. Cette lame qui tailladait les parties intimes des jeunes filles, c’était «le couteau que m’a légué ma grand-mère. C’est un couteau qui traverse le temps. On ne le lave pas, on ne l’aiguise pas, on ne le met pas au feu non plus». Un nid de microbes pensait ma petite tête à l’époque.

« Non » se justifiait toujours tantine. «C’est avant tout un rituel tribal et ce n´est jamais sale le couteau. Il a nettoyé la «chose» proprement pour les maris de beaucoup de femmes. Il le fait et le fera toujours». J´ai compris dans les demi-mots de ma grande tante que nous appelons affectueusement grand-mère que,  le but de l´excision est de rendre les filles moins frivoles, une sorte de ceinture de chasteté. À l’origine, cela se voulait une sorte d´éducation à la vie adulte, à la vie de femme mariée. Cette phase de la vie doit rendre les filles plus dociles aussi, et pour elle, c’est les ancêtres qui l’imposeraient. Toute femme devrait donc passer par là.

Dans notre milieu, il fut un longtemps où, nous ne fûmes que des petites « Koye » ou effrontées. Mais père a pris le soin de nous apprendre à être fortes face aux injures et autres discriminations. Pour ces femmes excisées, les non-excisées n’ont pas de valeur aux yeux de la société dans laquelle elles évoluent. Notre père nous a montré que la valeur d´une femme est ailleurs. Bravement et fière j’ai parfois passée ma route sous les regards qui narguent et qui se veulent hautains. Qu´importe, ma tête est bien faite par le père.

L´excision c´est…

Une tradition qui marque le passage de l’état d’enfant à l’état de femme. Les trois mois et demi où la fille va vivre dans la forêt sacrée, la matrone et ses acolytes enseignent les secrets de la vie comme comment tenir et retenir son mari au foyer, développer tous les sens de la femme : cette sensibilité féminine,  l´auto-thérapie en cas de problème, le pouvoir d’une vraie femme africaine en quelle sorte.

Je compris au fil des explications de grand-mère que cette pratique répond aussi au besoin de contrôle des hommes sur les femmes. La société africaine à l’époque vivant d´une économie agro-pastorale est aussi composée de chasseurs et de guerriers.  Les hommes étaient sur les routes des mois durant. Il fallait bien trouver un moyen de mutiler la femme et lui ôter ses instincts de femme. Bref, l’excision fut trouvée pour emprisonner la libido de la femme afin de mieux posséder et contrôler cette dernière. Ceci est ma conclusion. Pour grand-mère, elle nettoyait juste la femme, la rendait propre pour le mari. Une question me taraude l´esprit : est-ce que le clitoris serait une impureté selon cette tradition? Elle arrive très tard cette question. Elle n´est plus là pour me répondre. Qu´importe, la jeune génération des hommes a sa petite réponse. Et moi aussi.


Février de nos souvenirs : comment la guerre de 2008 a recollé le tissu social tchadien

Forces rebelles fait prisoniers de guerre à N´Djaména. Image DR
Forces rebelles fait prisoniers de guerre à N´Djaména. Image DR

La guerre de février 2008 peut être résumé en chiffre : 730 personnes tuées entre le 28 janvier et le 8 février 2008 par 42 «bombes» avaient été lâchées depuis des hélicoptères, dont 37 avaient explosé selon le rapport d´Amnesty International. Au plus fort des combats, nous n’avions plus la possibilité de fuir. Beaucoup d´entre nous n’avaient qu´attendre la fin des combats pour partir. 50 000 Tchadiens ont franchi la frontière pour trouver refuge au Cameroun. Survivre après avoir vu la mort, c´est l´instinct qui a prévalu. Six ans après, aujourd´hui en cette date anniversaire, je me demande où en est-on au Tchad?

Le 01 février en se couchant le soir, les N´Djaménois n´imaginaient pas qu´ils seront réveillés par des bruits d´armes lourdes au lendemain. C’est vers 8h00 du matin à N’Djamena que les combats ont commencé, à une vingtaine de kilomètres au Nord de la capitale, les positions de l’armée tchadienne étant très rapidement enfoncées par les forces rebelles, bien équipées, montées à bord de véhicules 4×4 armés de mitrailleuses lourdes, et dotées de lance-roquettes et de fusils d’assaut Kalachnikov. Les forces rebelles tchadiennes ont pris N’Djamena au début de la matinée du 2 février 2008, se rendant maître de la quasi-totalité de la capitale à l’exception du Palais présidentiel. Le Vendredi 1er février, à Massaguet, à 50 kilomètres environ de N’Djamena, le président tchadien Idriss Déby Itno avait combattu lui-même afin de stopper l’avancée rebelle sur la capitale. Mais les dieux de la guerre ont déserté N´Djaména dont la coalition s´en empara. Trois jours d´affilés, on était terrés comme dans les maisons sans la moindre idée si on survivrait les minutes suivantes. Tirs d´armes lourdes, éclats de bombes, bruits d´hélicoptères survolant la ville à basse altitude.

Ce sont six ans passés tous ces cauchemars. Je me demande qu´est ce qui s´est bien passé après cette offensive en matière de continuité d´un Etat tchadien? Comment vivent les Tchadiens après? Quels sentiments animent encore la génération victime de cette guerre?

Socialement, les tchadiens ont appris à surmonter leurs haines et réaliser que le mal n´est pas absolument mon voisin et s´ils devraient survivre, il fallait se tendre la main. Dans les camps et les hôtels de Kousseri, on a vu le Nordiste et le Sudiste s´entraider.  La scène qui m´a interpellé est celle-ci : une femme sudiste à bout de souffle dans le rang pour l´unique guichet toute transpirante. Le jeune homme, un musulman qui observait sorti et revient quelques minutes avec une bouteille de sucrerie qu´il tendit à la dame. Tenez et buvez madame; vous risquez une hypoglycémie. Vous tremblez depuis quelques minutes. Qui aurait cru en temps normal à une scène pareille ? Ce 2 février, nous avons compris les groupes d’opposition armés ne s´intéressaient à rien sauf le pouvoir et que nos vies ne valaient rien contre cela. Ils n´ont pas hésité à mettre celles-ci en péril. Ils n’ont pas choisi de mener leurs attaques loin des zones où vivent les populations civiles. Ils nous ont utilisé, musulmans comme chrétiens, comme bouclier humain. En un mot, les tchadiens ont compris la leçon. Une guerre c’est faire un bond de 20 ans en arrière.

Sur le plan juridique, l’État tchadien a durci ses lois à la sortie de cet assaut créant ce paysage juridique liberticide. Tout commence avec l’ordonnance 05 promulgué le 20 février soit quelques jours après l´assaut. La presse fut rapidement mise sous coupe. Il s´en est suivi le nettoyage des groupes armées, le renforcement des capacités de l’armées. On imposa l´état d´urgence en a profité pour déguerpir des quartiers. Le revers de la médaille c´est cette passivité de la population qui semble protéger la  »stabilité » acquise. La prise de conscience de la jeune génération des méfaits des coups d’états est un gage pour la reconstruction du tissu social disloqué par plus de trente années de guerres socioreligieuses et fratricides entrainant d´éternels recommencements sur le plan économique.

Politiquement on stagne sur certains plans. La mémoire d´Ibni Oumar hante les esprits mais le blason  diplomatique se redore malgré cela avec l´entrée au conseil non permanent de l´ONU, l´intervention au Mali au côté de l´opération Serval même si, il faut encore prouver la neutralité du Tchad dans le conflit centrafricain.

Six ans après, N`Djaména s´élève majestueuse des ruines de février 2008. On construit, on investit, on planifie de nouveaux chantiers en dépit encore d´une électrification lente du pays ainsi qu´un manque de réseau internet performant qui handicapent le développement de cette capitale. Cette actuelle quiétude, cette soif de construire qui anime enfin la jeune génération, on a mis une trente d´année à la germer et laisser mûrir dans l´esprit de chaque jeune qui, semble ne plus vouloir revivre un autre sinistre février. Comme quoi, tous les grands malheurs du Tchad sont arrivés de l´Orient un certain matin de février : 1979 et 2008. Si ce n´est le mois d´avril : 1975 et 2006.


12 years a Slave, j´ai vu le film

Credit Web
Credit Web

Je n´ai vu que rarement les films traitant de l´esclavage. J´ai aussi parfois été critiques sur les différents angles de filmage mais, celui-ci, douze ans d´esclavage m´a convaincu. Avec un budget de 20 millions de dollars et sept semaines de tournage, voici un chef d´œuvre nécessaire. L´histoire contée par le rescapé lui-même avec beaucoup de fierté. A aucun moment, Platt ne laisse sa condition submerger sa dignité. 

1841. Solomon Northup est un homme libre qui vit avec sa femme et leurs deux enfants à Saratoga Springs, dans l’État de New York où, il gagne sa vie en tant que charpentier et joueur de violon jusqu´au jour où, deux prétendus artistes l´approchent pour un prétendu contrat dans un circuit. Ils le droguent et l’enchaînent avant de le vendre comme esclave. À La Nouvelle-Orléans,  il est appelé «Platt» par son propriétaire William Ford qui possède une plantation. Bien qu’esclave, Platt s’entend bien avec Ford, un maître bienveillant qui apprécie ses connaissances techniques.  Ford lui offre son violon. Mais le charpentier raciste employé par Ford, John Tibeats, est jaloux du succès de Platt au près du maître et commence à lui mettre des bâtons dans les roues. Les tensions atteignent leur paroxysme lorsque Tibeats le frappe et qu’il se défend. Pour se venger, Tibeats et deux de ses amis tentent de le lyncher. Pour le protéger du courroux de son charpentier, Ford est finalement contraint de revendre Northup à Edwin Epps, un propriétaire cruel et impulsif, convaincu que son droit de maltraiter ses esclaves est autorisé par la Bible.

À la plantation d’Epps, Northup récolte du coton. Chaque esclave doit ramasser au moins 90 kg (200 livres), sous peine d’être fouetté. Une jeune esclave nommée Patsey récolte 500 livres de coton par jour (environ 220 kg). Sa beauté et son talent attirent l’attention de son maître, mais rendent jalouse la femme de Epps ; celle-ci la défavorise et la frappe alors que son mari la viole de façon régulière. Lorsqu’une maladie s’abat sur le coton de la plantation, attribuée par Epps à un signe de Dieu. L’esclavagiste loue ses esclaves à une plantation voisine pour la saison le temps que les cultures récupèrent. Lorsque Northup retourne à la plantation d’Epps, il tente d’utiliser le peu d’argent qu’il avait pu récupérer ici et là pour convaincre un ancien contremaître blanc devenu ouvrier agricole d’envoyer une lettre à ses amis de New York. L’homme accepte,  prend l’argent, avant de dénoncer Platt à Epps. Il convainc son maître que l’histoire est fausse et brûle en cachette la lettre, son seul espoir de liberté. Un jour, Patsey demande  à Northup de l´étrangler dans les eaux du marais; ce que ce dernier refuse. Un dimanche, Patsey a disparu de la plantation pour chercher du savon. Epps, fou de rage et de jalousie, interroge Northup. Lorsqu’elle réapparaît, Epps ordonne à ses hommes de la déshabiller et de l’attacher à un poteau. Encouragé par sa femme, il hésite à la fouetter et, l´ordonne finalement à Platt qui, obéit à contrecœur. Epps lui arrache le fouet des mains et bat violemment Patsey jusqu’à ce qu’elle s’évanouisse.

Platt est affecté à la construction d’un pavillon sur la propriété d’Epps, en compagnie d’un travailleur canadien nommé Bass (Brad Pitt). Un anti esclavagiste qui, exprime à Epps son opposition à l’esclavage. Il lui raconte son histoire et le convainc de porter une lettre à Saratoga, ce qu’il accepte au péril de sa vie. La lettre arrive et Parker un commerçant chez qui il avait l’habitude de faire ses courses traverse tout le pays pour venir le libérer. Malgré les protestations et les menaces d’Epps, ainsi que le désespoir de Patsey, Northup quitte la propriété immédiatement. Après avoir été exploité pendant douze ans, il est à nouveau déclaré un homme libre et retourne vers sa famille.


Femme-journaliste ou journaliste-femme? Un billet collectif pour briser le silence sur les discriminations

Crédit photo :  Internews Network via Flickr/CC
Crédit photo : Internews Network via Flickr/CC

Etre une femme journaliste n´est pas un fleuve tranquille ou une promenade de santé dans les cours des organes de presse. Évoluer dans la profession a un coût moral et psychologique ardu pour les femmes africaines. Il faut faire ses preuves et travailler davantage que ses  confrères hommes à cause des  préjugés sexistes qui, loin des paillettes et autres mondanités, les voyages, les rencontres et découvertes qui rendent le métier beau, restent un vrai défi pour celles qui veulent exercer en tout professionnalisme. Le monopole masculin est là et s´imposer comme une journaliste est un combat difficile. Certaines ont osé et gagné le pari avec beaucoup d´écorchures. Ce billet collectif est un témoignage et un tour d´horizon avec des femmes journalistes et mondoblogueuses contre la précarité, le sexisme, la discrimination et le harcèlement sexuel dont subissent les journalistes femmes.

 

Chantal du Congo ouvre le billet en dénonçant le faible pourcentage des femmes dans les médias. Tandis que, Josiane nous dit depuis le Cameroun que la discrimination à l´égard de la femme journaliste commence au sein de sa famille même.

 

 

Chantal Faida, RDC : Les femmes n’ont pas plus de voix dans les médias

 

 

Les femmes parlent à 19% en RDC et ce pourcentage varie selon différents organes de presses (radios, journaux et télévisions). 22% de femmes sont dans les entreprises de presse et 18% occupent des postes de gestion. Seul 8% d’entre elles sont présentes dans la direction de presse en RDC. L’inégalité du genre dans le monde médiatique congolais est très visible. La panacée c’est de mettre des «lunettes» genres dans le traitement de l’information en vue d’un équilibre. Grâce à l’appui du programme inter bailleurs Médias pour la Démocratie et la transparence en RDC et en partenariat avec l’Osservatorio di pavia, l’Union Congolaise des Femmes des Médias, (UCOFEM en sigle) a, dans ses actions en faveur des droits  des femmes congolaises réalisé un monitorage des principaux médias congolais, écrits et audiovisuels, pour faire un point sur la représentation médiatique de la femme en RDC au mois de septembre 2013.

Le plus souvent, les femmes sont interviewées dans un rôle mineur

A en croire le rapport du monitorage, les récurrences de représentations inégales dans les médias sont légion. «Les femmes sont protagonistes, rarement interpellées en tant que sources expertes ou en tant que célébrités. Plus souvent, elles sont évoquées ou interviewées dans un rôle imprécis ou mineur. Bien que sous-représentées dans la plupart des rôles importants, les femmes reçoivent l’attention médiatique plus souvent que les hommes en tant que victimes de violence et donc dans les bad news.»

Plus loin, le rapport précise, «Les personnes représentées dans les médias sont parfois identifiées à travers leurs relations familiales la femme de…, le fils de … Cette démarche qui tend à diminuer l’importance des sujets est bien plus récurrente vis-à-vis des femmes que des hommes.»

Emprise de la coutume n’aide pas le progrès vers l’égalité

Il sied de noter que dans la plupart de cas, au Congo, la femme vit sous l’emprise de la coutume caractérisée par la prédominance de l’homme. «Un écart prononcé dans le département technique/technologique de l’information 9% et dans celui de l’impression et de la distribution 17%.  Les hommes prédominent dans tous les départements des entreprises de presse. 29%  de personnes figurant dans le département éditoriaux sont des femmes.» En exemple, la couverture médiatique sur l’égalité du genre est à seulement 0.5% en comparaison avec la couverture sur la politique qui est à 23%.

 

 

 

Josiane Kouagheu, Cameroun ; Sex-symbol ou journalistes tout court?

 

 

En mars 2013, j’écrivais un billet intitulé : Sex-symbol les femmes journalistes? Une question me trottait dans la tête : «n’y a-t-il pas des femmes journalistes qui s’imposent déjà?». Bien sûr que si!

 

«Les journalistes sont des bordels (prostituées)». Quand ton propre papa te le dit, tu réfléchis par deux fois avant de t’engager dans cette voie. Et lorsque tu t’engages, tu comprends qu’il n’est pas le seul à réfléchir ainsi. «Ah je suis sûr que comme tu es une femme, il va te répondre». «Tu portes la jupe. Vas-y, il va te donner le scoop…». Au sein des rédactions, les femmes journalistes ne sont pas épargnées. Et si en plus tu écoutes des commentaires du genre: «regardez les profils Facebook des femmes-journalistes. Leurs corps sont exposés. Elles veulent se vendre ou quoi?». N’ont-t-elles pas le droit de se filmer? N’ont-t-elles pas un corps de femme ? En fait, je pense que les hommes veulent se convaincre de l’incapacité des femmes dans les medias. J’ai parfois l’impression qu’ils veulent voir en les femmes journalistes, leurs épouses restées à la maison. Celles-là qui les attendent, les embrassent et se contentent de leur faire de beaux petits bébés. La femme-journaliste rentre parfois à 2 heures du matin des reportages et à 6 heures, elle est d’attaque à la rédaction. Ça fait peur aux hommes!

Il y a des brebis galeuses partout. Normal, certains hommes journalistes ne sont-ils pas à la solde des hommes politiques? Corrompus et achetés?  La femme journaliste n’est pas à l’abri des dérapages. Je ne me considère pas inférieur ou supérieur à mes collègues hommes. Je me dis seulement : «je peux faire ce qu’ils font. Et plus encore» !  Je ne mets ni mon corps, ni ma qualité de femme en exergue. Je ne suis pas une sex-symbol, mais une journaliste tout court!

Je dirais donc que l’Afrique ne réserve naturellement aucune place à la femme dans la société. Celle-ci doit se faire accepter ou s´imposer. Même dans la presse. Se voir refuser les reportages importants parce que femme, se contenter des chiens écrasés. Parfois, il faut s’autocensurer pour ne pas mécontenter la gente masculine. En tout cas, le constat est le même aux Caraïbes où, Mylène et Axelle nous amènent.

 

 

Mylène Colmar, Guadeloupe : De l’art de serrer les dents

 

 

En Guadeloupe, que tu es une femme, jamais certains (interviewés, patrons, collègues et même l’entourage proche) ne manquent de te le rappeler, de manière directe ou détournée (consciente ou pas). Directe : la drague, les avertissements paternalistes commençant par « Une femme comme toi ne devrait pas…», l’intimidation physique. Détournée : les regards enjôleurs très appuyés, les questions insistantes sur la vie privée, les remarques déguisées en compliments sur tes tenues vestimentaires, les interrogations du genre «Tu as obtenu ces infos comment ? Il ne t’a pas fait des avances quand même ? Tu l’as séduit, non ?» Et les blagues du type «Tu veux l’interviewer parce que tu es tombé sous son charme?». Propos entendus, situations vécues. Et comme parade, ma méthode qui a fait ses preuves : faire montre d’encore plus de rigueur, de professionnalisme.

Je râle parfois, irritée que certains aient encore ces réflexes et pensées rétrogrades. Néanmoins, je me calme très vite, car ailleurs d’autres femmes journalistes travaillent sous le feu des critiques, en dépit des risques encourus et malgré leur peur au ventre. Alors…

 

 

 

Axelle Kaulanjan (axelle971.mondoblog.org) : «Du mal kabritisme»

 

 

 

En Guadeloupe, l’on pourrait croire que les femmes journalistes ont de la chance, contrairement à d’autres pays de la zone Caraïbe-Amérique latine, car, a priori, traitées à la hauteur de leurs compétences, sans discrimination aucune. Et pour cause, nombre d’entre elles occupent des postes à responsabilités et bénéficient d’une excellente visibilité à la télé et en radio. Du moins au niveau du service public.

Mais tout cela n’est qu’apparences et la façon dont certains décideurs – notamment politiques – se permettent de les traiter, pourrait choquer.

J’ai en tête un souvenir particulier datant de 2006, alors que j’étais une toute jeune journaliste. La radio avec laquelle je collaborais inaugurait alors ses nouveaux locaux, et des leaders politiques de tous bords avaient été conviés, pour une journée d’émissions spéciales. Bien sûr, le buffet et le bar étaient ouverts. L’un de ces politiciens, connu pour son penchant pour la boisson locale, le rhum blanc « sec » – c’est-à-dire bu sans sucre ni aucun accompagnement –, après un verre, s’était permis, devant les yeux pas si ébahis des autres hommes présents, de mettre une main aux fesses d’une de mes collègues. Alors en pleine évolution professionnelle, elle s’était sentie « obligée » de sourire, la mort dans l’âme, après ce geste plus que déplacé ; ajoutant ainsi une certaine approbation du silence au sentiment d’impunité de ce mal kabrit .

Voilà donc, un aspect du milieu dans lequel les femmes journalistes guadeloupéennes doivent évoluer : un microcosme apparemment lisse et beau, mais qui, au fond, comporte bien des vers qui le pourrissent. Et, dans ces cas, pour survivre et garder sa dignité, et ne pas se vendre, il faut trouver des stratégies d’évitement. Par exemple, nombre de ces femmes journalistes, quand elles doivent interviewer un de ces mal kabrit notoires se font tout simplement accompagner d’un homme de la profession. Tristes tropiques.

1-    Littéralement, mâle cabrit, bouc. Par extension, désigne tout homme au comportement sexuel démesuré, par comparaison à ces caprins qui « sautent sur tout », sans distinction.

S´offrir à ces supérieurs, du directeur des programme au ministre de tutelle, ou moisir en enchaînant de petits contrats. Alors le journalisme, un métier d’homme? Je dirais non. Mais un métier où il vaut mieux être un homme, ça c’est sûr ! Sinon avoir la poigne d´un homme. Cela peut être aussi bien nécessaire. C´est l´avis de Salma.

 

 

 

 

Salma Amadore du Cameroun : Journaliste aux seins d’une rédaction

 

 

 

 

C’est le genre d’article où je ne sais vraiment pas comment ordonner mes idées car j’ai tellement de choses à dire. Parler de la femme journaliste dans mon environnement ne peut passer que par ce que j’ai vécu. Hé bien à une époque durant mon enfance, la télévision et surtout la CTV (nouvelle CRTV) pour moi, représentait des noms tels que Charles Ndongo, Denise Epotè, Eric Tchinje, barbara Nkono. C’est sur ces noms que reposaient mes connaissances en matière de journalisme.

La Famille

Faut dire qu’être journaliste dans une famille au Cameroun c’est d’abord dans la tête des parents «passer à la télé, être comme Charles Ndongo». J’avais beau dire aux membres de ma famille que j’étais journaliste de la presse écrite, tout ce que je disais tombait dans des oreilles de sourds. Il avait une seule question « tu dis que tu es journaliste non, pourquoi je ne te vois pas à la télé ? ». Pour eux ce métier signifiait qu’on devait forcément passer à la télé. Ma grand-père a cette idée comme quoi «  les journalistes sont riches et côtoient les grands hommes donc je me marierais sans doute à l’un d’eux et je serais une grande femme qui voyagera partout ». Pauvre grand-mère tu ne sais pas que si c’était autant facile tout le monde ferait ce métier pour voyager.

Par la suite dans la belle famille, Je peux dire que les femmes journalistes ne sont pas bien accueillies dans la société en général. Les gens disent qu’elles « bavardent beaucoup », « qu’elles ne sont pas fidèles vu qu’elles rencontrent  et passent parfois du temps avec les grandes personnalités, elles se prennent la tête », « ce sont des mauvaises mères car elles voyagent trop et ne sont jamais là pour éduquer leurs enfants », « si elles se marient, elles iront toujours dévoiler leurs problèmes dans les médias pour salir leur mari », un tas d’idées reçues qui noircissent le tableau de cette profession pour la femme.

Dans mon équipe

Il  faut dire qu’être une femme dans le journalisme, c’est être une femme comme ailleurs. Je veux dire que même dans nos familles nous bagarrons beaucoup pour obtenir certaines choses contrairement aux hommes. C’est donc avec passion que je deviens reporter, j’avais ce plaisir à voir mon nom au début ou à la fin d’un article. Les femmes dans les rédactions sont comme des appâts. Elles sont dans la plupart des équipes sur le terrain pour « ouvrir certaines portes » car là où il sera difficile à un journaliste homme de faire une interview pour une quelconque raison, une femme pourrait l’obtenir rien que par son charme. La plupart du temps j’avais des instructions du genre « je ne veux pas savoir si tu dois le draguer ou faire quoique ce soit avec lui, mais ramènes-moi mes informations ». Et moi je me disais intérieurement « je suis comme une prostituée donc je dois faire les quatre volontés de Mr ou Mme tel rien que pour un papier ? ». Et puis je me suis disait « est ce que c’est un lion ? Il ne va pas me manger », et puis quelqu’un dans la salle de rédaction me lançait « il aime les femmes et surtout les filles comme toi ». Après ça je perdais tout mon courage.

Je vais dire que le charme, la courtoisie, la sympathie, la simplicité et le respect m’ont toujours permis d’obtenir ce que je voulais comme informations.

 Le harcèlement tout comme le chantage  n’échappent pas au paysage, surtout quand vous êtes la cible d’un de vos dirigeants et que ce dernier vous fait comprendre que « si tu n’acceptes pas ma proposition, tu ne graviras jamais les échelons dans cette boîte ».Alors  soit vous cédez, soit vous vous forgez un moral tellement fort que les autres vous prennent pour une sorcière. Et vous vous dites intérieurement « je préfère être une sorcière aux cuisses lourdes  qu’un ange aux cuisses légères ».

D’autre part il y a toujours ces idées reçues sur les sujets à traiter qui conviennent à tel sexe. Un peu comme à l’échelle nationale on donnerait volontiers le ministère de la famille à une femme, dans les rédactions les femmes sont bonnes pour les rubriques  beauté, société, mode, etc. Il lui faudra mener un combat de titans pour être chef de rubrique économie, politique, diplomatie et autres. Ce sont autant de combats qu’il reste à mener.

Etre une sorcière aux cuisses lourdes ? Un avis que partage aussi Bryaelise. Cependant on peut s´imposer par son travail. En tout cas ce dont témoigne ma consœur venant du Tchad comme moi.

 

 

Bryaelise ;  Femme journaliste au Tchad ?

 

 

«Parce que je suis une femme, on a tendance à me confier les reportages les plus faciles : la journée internationale de la femme, les séminaires de moindre importance et les petites cérémonies qui parlent des femmes et des enfants. Je me suis battu par le travail pour mériter le respect des autres collègues», me disait Halimé Asadia Ali, actuelle Directrice de la Télé Tchad. Comme Halimé, beaucoup de femmes journalistes vont au-delà d’elle-même pour affirmer leur compétence.

Être femme journaliste, s’est se voir d’abord traitée de moins que rien. Ensuite, n’importe lequel de tes collègues, même le plus cancre et le plus vilain pense que tu peux te livrer à lui pour avoir ses «faveurs». Quand tu leur tiens tête, il y en a qui racontent que ce sont eux qui écrivent tes articles à ta place. Il y a des gonflés qui vont jusqu’à raconter que les femmes de leur rédaction  ne réussirent que grâce à leur soutien.

Je me rappelle les heures supplémentaires que je me tapais pour être chaque semaine la plus productive, la plus active et la plus présente. Ma ténacité m’a valu le respect de mon Directeur de publication et l’estime des lecteurs.  Je suis fière de voir mes confrères rougir des remontrances de notre Directeur alors que moi, je recevais des félicitations et reconnaissances.

Etre femme journaliste peut être une expérience édifiante si l’on brave la discrimination sexiste, le harcèlement sexuel et le laxisme. J’ai pitié de celles qui salissent le métier en ouvrant leur cuisse au premier venu pour avoir les faveurs et la promotion.

Une chose est sûre, je suis fière d’être femme et journaliste battante.

Au vu de ces témoignages, je me demande, est-on femme-journaliste, journaliste-femme ou journaliste tout simplement?

 

 

Rendodjo Em-A Moundona-Tchad; la ténacité est la meilleure carte de visite

 

 

Etre femme-journaliste suppose dans le milieu du journalisme tchadien, être obliger de faire le canapé du chef. Eh bien le mot est dit. S´offrir à ces supérieurs, du directeur des programme au ministre de tutelle, ou moisir. Je venais d´intégrer la rédaction de la radio. J’avais la tête plein de projet et de synopsis d´émissions lorsque la réalité se présenta à moi. C´était lors du grand journal de quatorze heures. Au beau milieu de l´émission, mon encadreur me demanda de l´embrasser. Face à mon refus, il me retira l´autre moitié que je devrais présenter en duo avec lui «tant que tu ne m´embrasseras pas, tu ne passeras pas à l´antenne. C´est la loi ici». Un verdict tranchant. N´étant pas prête à offrir un spectacle pareil aux techniciens qui observaient la scène de l´autre côté de la bais vitrée, je quittais l´antenne résolue de ne pas céder à pareille chantage. Personne ne s´émeut lorsque j´évoque le problème en conférence de rédaction. J´entendrais plus tard d´autres histoires plus drôles et scandaleuses que choquantes les unes les autres plus tard. Des histoires qui renforcent bien la réputation de femme légère qu´on prête aux femmes de médias.

On me confia la direction du desk politique car il me serait facile d´accéder aux hommes politiques. «Tes courbes sont une carte de presse très valable» disait parfois mon chef. Je me suis imposé une rigueur et une discipline mais n´empêche que de temps à autre, on me rappelle ma condition de femme. En tailleur ou en jeans et basket, que ce soit au bureau ou sur le terrain, je reste la femme-journaliste. Mes confrères verraient bien en moi la jolie consœur qui, perché sur des talons avec des jupes taillées sur mesures et doigts bien manucurés, les introduiraient facilement dans les bureaux des dirigeants et autres hommes politiques.

Quant à la mère de mon ami à l´époque, elle ne cessait d´interroger son fils sur sa volonté de vouloir vivre avec une femme qui ne serait jamais au foyer. Une qui porterait la culotte à la maison…

Il était difficile pour moi de m´imposer tout simplement comme journaliste! Alors j´ai laissé parler ma plume, mon ardeur au travail et ma ténacité. Il faut avouer que le trio fut une bonne carte de visite.

Le travail, la ténacité et la persévérance n´aident toujours pas lorsque la société qui est supposée encourager les femmes se veut le lit de toutes ces discriminations vis-à-vis de la journaliste. Il ne reste donc qu´un seul choix, celui de s´assumer, conseille Sinath l´Africaine.

 

 

 

Sinatou Saka du Bénin

 

 

 

Généralement, lorsque l’on parle des journalistes engagés en Afrique, les vraies images qui apparaissent le plus sur l’écran, ce sont celles des hommes. Les femmes, on leur réserve la presse ordinaire et docile qui caresse les tenants du pouvoir dans le sens du poil. Mais l’époque où la femme était reléguée aux travaux familiaux est passée. En choisissant de devenir journaliste et blogueuse, j’étais consciente qu’il serait difficile d’avoir une vie privée normale, car ça exige de nous énormément de mobilité et une abnégation sans nul autre pareil. L’actualité évolue si rapidement que nous avons à peine le temps de penser à autre chose, mais c’est le prix à payer quand nous voulons faire un métier qui nous passionne d’abord. Cependant comme le dit un de mes proches, c’est à l’homme de décider s’il recherche une femme intelligente et autonome que dépendante et soumise. Face à certaines considérations qui minimisent les capacités intellectuelles, j’aime à le rappeler, tout se passe dans notre cerveau. En ce qui me concerne, je ne me considère pas inférieur aux hommes sur le plan intellectuel, alors ceci ne pourrait représenter un obstacle pour moi dans mon métier. Les discriminations sont là. C’est certain, mais on va au-delà et on n’en fait pas un handicap.

S´assumer ou choisir le free-lance comme Fatou qui apprécie cette liberté de ton que le blogging lui procure.

Fatouma Harber, Mali

Journaliste, un métier qui ne va pas avec tout le lot de stéréotypes qui existent dans la société malienne. La femme est plutôt bien vu dans le rôle de femme au foyer, reproductrice en puissance qui au pire pourrait se laisser exploiter par son mari pour les travaux champêtres ou faire du petit commerce. Le journalisme – et d’ailleurs tout autre métier qui voudra l’extraire de cet environnement – est mal vu au Mali. Les femmes qui exercent ce métier – surtout à la télé – ne seraient que des « soungourouba »- prostituées sinon femmes fatales, en bambara – useraient de leurs charmes et en étant des Marie-couche-toi-là ! Un journaliste obtient un poste de chargé de communication dans une ambassade ? « C’est un bon journaliste ! » entendras-tu dire, mais quand c’est une femme, on lui cherchera un copain au gouvernement ou quelque part, bien placé quand même! Il faut être déterminée et passionnée pour faire ce métier dans un pays pareil. C’est ainsi un secret de polichinelle à Bamako que les filles ont plus de chance que les garçons pour avoir des missions intéressantes à la « télé nationale », on en oublie que ces filles ont étudié.

Personnellement, je me suis d’abord orientée vers le journalisme après les études en psychologie avant de l’abandonner quand j’ai su qu’il fallait en plus sortir, connaitre des gens, jouer à la bourgeoise et surtout « porter des pantalons » – chose que je déteste le plus au monde- et  surtout savoir sourire bêtement et se taire. Ne pas avoir d’opinion ou tout simplement la taire fait aussi partie des principes pour une femme qui veut percer dans le journalisme au Mali. Et là j’en oublie les aventures sans lendemain qui deviennent ta spécialité et t’attire cette réputation de chasseuse de têtes.

Le blogging et internet m’ont permis de reprendre des activités de journalisme en écrivant pour plusieurs sites et un journal malien. Je me plais bien dans cette position du travailleur indépendant qui n’aura juste qu’à envoyer son « papier » à un courriel. J’en garde ma si précieuse liberté -d’expression et de mouvement-.

Blogueuse ou journaliste, exercer cette fonction revient à se faire l´avocat des réformes et innovations et, on doit dénoncer vigoureusement tout méfait, mensonge, abus de pouvoir, discrimination, le harcèlement sous toutes ses formes, le conservatisme et les approbations démagogiques fondées sur le genre. Qu´ils soient commis par nos collègues, nos supérieurs ou par des élus ou des particuliers contre qui que ça soit. Il est impensable dès lors que celles qui dénoncent subissent.

On ose le dire et tout haut !


J´ai tenté de comprendre la Reforme d´Obama

La Réforme tant attendu de la NSA est enfin chose faite. Obama a dit oui à la reforme mais, que veut ou peut-il réformer concrètement? Ce que j´ai pu retenir de ce projet de réforme, c´est qu´elle est en fait une poudre aux yeux et le croire n´engagerait que qui veut bien y croire.

«Tout ce qui ne met pas fin à la surveillance de masse, sans suspicion (préalable) des Américains n’est pas acceptable» (dixit l’Union américaine de défense des libertés civiles).je dirais que toute Réforme qui n’opère aucun changement dans le fond n´est pas une réforme.

En présentant son projet de réforme de la NSA ce vendredi 17 janvier, Barack Obama a voulu atténuer les critiques dont cette agence essuie depuis les révélations d’Edouard Snowden.  depuis le printemps dernier ont provoqué un débat de fond aux Etats-Unis sur les méthodes de l’agence de renseignement et la protection de la vie privée des citoyens. Le scandale a même grippé les relations entre Washington et certains de ses alliés. Le projet de réforme a juste prévu des garde-fous dans les méthodes de surveillance, elle ne soutire en rien  cause à la NSA ses prérogatives. A-t-on attendu une réforme qui curera les tréfonds de la machine de surveillance mondiale? Eh bien il va falloir ne plus s´illusionner : l’essentiel de la réforme de la NSA ne concerne que la méthode. Donc une réforme sur la forme plus que sur le fond. L’agence de renseignement va, en effet, continuer de recueillir des millions d’informations sur nous et nos mouvements et les conservées.

N´empêche les propos d´Obama qui se veut rassurant comme quoi, «nous n’espionnons pas nos alliés, mais nous n’allons pas nous excuser parce que nous sommes efficaces». Ne dit-on pas que qui s´excuse s´accuse ? La NSA va continuer de recueillir des informations sur les activités et les intentions des gouvernements à travers le monde.

Voilà comment j´ai compris ce discours énoncé par un Obama qui se voulait convainquant. Les alliés se sont réjouis. Doivent-ils s´en tenir à une promesse ? La plus grande des promesses faites par Barack Obama, qui a certainement réjouis beaucoup, n´est pas encore tenue. Guantanamo nargue encore l´électorat américain.

En clair, la NSA continuera par espionner le monde. Voilà comment je résume le discours tenu sur la réforme tant attendu. Je peux me tromper mais j´aurais essayé de comprendre Obama.


Un mariage forcé en cadeau de Noël

La machine du mariage forcé vient encore de frapper une jeune fille au Tchad.

Préparation d´une jeune mariée/ Crédit La Beauté Tchadienne
Préparation d´une jeune mariée/ Crédit La Beauté Tchadienne

Aminé,  jeune étudiante tchadienne en France, a eu la désagréable surprise lors d’une visite à sa famille d’avoir comme cadeau de Noël, un mariage. Aminé, ignorant totalement ce qui se tramait, avait été priée par sa famille de venir passer les fêtes de fin d’année à Ndjamena. Grande a été sa surprise lorsque ce vendredi 27 décembre, les parents et l’imam du quartier sont arrivés pour célébrer sa  » fatiha ». On sait tous qu’au Tchad, le mariage forcé est une coutume et que beaucoup de filles ne sont pas épargnées. Les filles sont des proies faciles pour leur famille qui n’hésite pas à leur imposer un mari. Comme des centaines d’autres filles la pauvre Aminé dira adieu à ses études et se contentera d’être une femme au foyer. Elle  ne pourra plus  rêver de voyager sinon, uniquement avec son cher époux. Une fois encore, les filles tchadiennes qui vivent à l’étranger réfléchiront par deux fois désormais avant de rentrer au Tchad.

Il faut dire que certains parents ne sollicitent pas l’avis de leurs enfants lorsqu’il s´agit de les marier. Souvent le mariage est arrangé entre les deux familles ou entre la famille de la jeune fille et un homme jeune ou âgé. La jeune fille est  n´est pas informée du projet dès le début. Projet qui peut avoir lieu dans le pays d’établissement de la fille ou dans le pays d’origine. Quand cela se passe dans le pays d’origine, c´est bien souvent au cours d’un voyage ou lors des vacances. Tout est tenu secret par les parents et l’entourage. Les jeunes filles se trouvent mises devant un fait accompli.

Même si diverses raisons sont évoquées, la véritable raison est socio-économique. Ainsi deux familles ou deux clans tissent une alliance qui leur permet de créer, voire de renforcer leurs liens de solidarité. Les familles qui s’orientent vers un mariage préférentiel avec les cousins et cousines germain(e)s cherchent, elles, à rester dans l’entre-soi et à préserver les biens et l’héritage familial.

Il faut noter que les familles pauvres consentent le mariage d’une fille avec un homme nanti pour faire accéder celle-ci à un niveau de vie économique supérieur et en même temps de se faire verser une dot importante. Cependant on évoque toujours des raisons acceptables par le commun des mortels comme la volonté de caser la jeune fille pour la soustraire à un éventuel libertinage, l´honneur de la famille et les prescriptions religieuses. Autant de subterfuges qui, à mon avis, ne servent qu´à contrôler le corps et la sexualité de la femme. Beaucoup d´hommes rêvent encore d´épouser des femmes vierges. Ceci est vu comme un gage de fidélité et d´obéissance de l´épouse.


La prostitution, cet autre visage de Château rouge

Crédit: Rendodjo
Crédit: Rendodjo

Tout le monde en a parlé, beaucoup on écrit sur cette autre image de Château rouge, un quartier parisien du 18e arrondissement, envahi par la prostitution.  Moi, j´ai lu ce qui se rapportait à ce sujet, j’ai bien écouté aussi, mais pris le tout avec des épinglettes jusqu´à ce que je me rende compte. Le jour où j´ai compris ce que cela veut dire : se prostituer, j´ai eu de l´aversion envers tous ceux qui entretiennent ce métier, ceux à qui cela profite et ces jeunes prostituées africaines qui gardent un silence complice.

Pour la petite histoire, Château rouge est la petite Afrique du jour, mon marché préféré, mais aussi là où, je fais mes cures lorsque j´ai la nostalgie du marché central de Ndjamena. On y trouve tous les produits alimentaires africains, légumes, épices, fruits vendus à même le sol comme en Afrique. On discute les prix, on se hèle, se chahute. Toute l´atmosphère des marchés africains est là, sauf que la nuit venue, une autre sorte de marchandise est proposée à un autre type de clientèle. J’ai mes petites habitudes dans ce quartier que je croyais  connaître. Oui, mais connaître chaque rue, ruelle, boutique et recoin d´un endroit ne veut forcément pas dire qu´on connaît l´endroit. Car Château rouge a bien deux visages ; l´un du jour joyeux, coloré, exaltant et parfumé d’épices et autres délices et l´autre sombre, morose, aux relents pestiférés qui déshumanisent la femme.

A défaut de vitrines et boutiques, elles sont exposées dans le froid hivernal ou la moiteur estivale dans des habits peu chauds avec des touffes de mèches de toutes couleurs sur la tête et les visages peint aux vives couleurs. Depuis quatre heures on fait le va-et-vient sur l´avenue principale du quartier Château rouge de Paris. Comment photographier sans me laisser prendre ? Trottoirs et halls d’immeubles sont depuis quelques minutes envahis par des groupes de femmes qui lentement s´installent, traînent les pieds, lorgnent les enseignes ou discutent entre elles. Certaines ont sous les bras de gros pull-overs. Elles savent qu´elles  resteront jusqu´au petit matin. Ces trottoirs sont livrés toute la nuit à de jeunes et très jeunes Africaines, Ghanéennes et Nigérianes tenues d’une main de fer par les « mamas ». Derrière cette prostitution du pauvre, se cachent de puissants réseaux qui exploitent les femmes et leur font payer un lourd tribut. Impossible de les faire parler. Elles sont si méfiantes et je lis la peur dans leur regard comme si un œil invisible les surveille et qu´une oreille invisible les écoute.

Elles portent un sac en bandoulière et n’apparaissent qu´en fin d’après-midi dans les quartiers où se pressent de nombreux passants. Vêtues  d’ habits simples, ordinaires, elles montrent toutefois l´essentiel à offrir. Les quartiers de la Goutte-d’Or (XVIIIe) les secteurs Marcadet-Poissonniers et Château Rouge ne proposent qu’un triste spectacle. Les habitants, qui ne supportent plus cette présence  sous leurs fenêtres, dans leur cages d’escalier, sous les échafaudages d’un ravalement d’immeuble, à côté des abris de bus, ont fini par se résigner. On est obligé de faire avec dira une dame. Elles sont une machine à satisfaire avec des passes taxées à 20 ou 30 €.

Crédit: Rendodjo
Crédit: Rendodjo

Une image désolante que je veux filmer, mais comment? Je suis accompagnée d’une  lectrice de Mondoblog pour pouvoir passer inaperçue. Mais, très vite nous sommes repérées. On nous renifle : on sent les intruses. Les hommes potentiels clients nous toisent de haut, les yeux pleins de questions. Les filles, elles sont prêtes à sortir leurs griffes. Elles observent chacun de nos mouvements. La défense de son terrain est primordiale dans leur monde. Je simule un achat dans une boutique, question d´avoir le bon angle, mais j´échoue. Vaincue, je range mon appareil photo et me décide à repartir sur le trottoir avec mon téléphone. J’ai réussi à voler quelques images et alors que je suis  en train de les  regarder un courageux ose nous aborder. Notre air dubitatif lui fait comprendre qu´il ferait mieux de tenter sa chance ailleurs. Inutile de traîner longtemps puisque les proxénètes commencent à se faire présents. Après un bref échange de coup d´œil, on  décide de s’éloigner pour  s’engouffrer dans la première entrée de métro .