«On ne peut se défaire de l´endroit d´où l´on vient» (1)

24 septembre 2012

«On ne peut se défaire de l´endroit d´où l´on vient» (1)


 Sources orteilsenvadrouille.free.fr

Couchée sur mon canapé, je repensais à ma vie. Une vie comme celle de toute jeune africaine de la génération de 80. Mais aussi une vie traversée par une destinée assez différente de bien d´autre de cette génération guerrière. Comment ne pas y penser ? Moi enfant sahélien étant née dans la guerre, ayant survécu à la sécheresse, ayant connu le vrai visage de mon père qu´à mes cinq six ans. Il fut un exilé politique. Moi femme africaine ayant échappé à un mariage arrangé de justesse. Les histoires de  famille, je n´en suis pas une adepte. Qui à subir la pression de la famille. Mais c´est ma vie. Je me suis battue. J´ai survécu. J´ai remporté la reconnaissance de ma famille aujourd´hui. Ce fut dur, dur et dur. Mais j´y suis parvenue. Tout peut être possible à celles qui savent lire et écrire sous nos cieux!

Je repensais donc à ce moment où, posant les pieds sur la passerelle de l´avion de la compagnie Air Maroc, je me questionnais sur ce qui allait être mes nouvelles relations avec l´Afrique. Sur ce qui allait être ma désormais lointaine relation avec ma famille et surtout ma relation avec mon père. Ce père que j´ai beaucoup aimé comme toute petite fille. Rien n´a voir avec le fameux complexe d´Œdipe. Car moi j´ai aussi aimé ma mère. Et je l´aime par-dessus tout. Ce père que la vie a fini par nous distancer l´une de l´autre. Ce père dont les turpitudes des traditions ont fini par m´en écarter à jamais. Pour lui, j´étais une enfant étrange qu´il ne comprenais plus. Une bête enfant qui ne sait ce qu´elle veut; lorsqu´il ne m´attribue point ce surnom de «sociologue qui veut changer le monde». Ou plutôt son monde aux traditions que je qualifie d´hypocrites : mariage en famille, cette l´officialisation de l´inceste au nom des raisons aussi tordues que futiles. La dot extrêmement élevée ou l´arnaque financière. Des vieux pères qui comptent sur leurs nombreuses filles pour s´enrichir sur le dos des jeunes hommes.

Mais mes pensées s´envolaient aussi vers toi, ma mère. Toi dont j´ai privé de l´orgueil de toute mère africaine se séparant de sa fille. L´orgueil de toute mère africaine regardant sa fille quitter ce continent aussi sombre que ses nuits noires dans lesquelles, les gouvernants repus des frais du contribuable dont ils gèrent comme leurs biens, tissent les liens de leurs réseaux obscurs et mercantiles où les décrets se signent entre deux rasades de liqueurs. Oui je t´ai privé de l´occasion privilégiée de toute mère de se faire envier par ceux qui l´écoute administrer les derniers conseils à sa fille au pied de la passerelle. Conseils dont le seul but est de se faire voir elle, la belle-mère de l´Européen. Tant Dieu sait que les réalités d´outre-mer sont différentes qu´aucune femme ne se gênerait si le mari doit aider à faire le ménage. Hélas, je t´ai refusé toute cette parodie théâtrale. Ma foi, je n´aimes pas les mises en scène. Oui, comment ne pas te retrouver dans cet instant précis de ma pensée ? Tu es toujours bien là et tu le resteras. Toi mon héroïne. Toi, symbole de toute une histoire. Celle d´un pays livré aux d´une bandes de dinosaures plus préoccupé par leurs ventres et leurs bas ventre que par une meilleure répartition des bien d´un pays, la justice et la cohésion sociale. Qui pourrait bien oublier ces années de guerre civile, l´Exil pour les uns, car toi tu refusas de partir loin de ta patrie, l´Exil dû à l´élimination des cerveaux sudistes ou septembre noir. Et comme la famine suivant souvent la guerre, tu devrais affronter seule avec quatre enfants la sécheresse des années 1984. Qui de nous tes quatre filles oublierait tes nuits blanches sous les lanternes de Kété Gala (petit marché)? Oui tu devins vendeuse de tourteaux d´arachide pour le besoin parce que dépouillée par la belle famille du peu que ton mari t´a laissé. Toi une institutrice. Tu quittais toujours le trottoir à vingt-trois heures pour aller le matin à sept au cours. Pourrait-on décrire la fatigue avec laquelle tu luttais cinq heures durant en te tenant sur tes pieds et t´égosillant le plus fort possible pour te faire entendre par ces élèves aux ventres creux? Tout un souvenir. Des souvenirs qu´on ne peut s´arrêter de ruminer le long de sa vie. Même si les remémorer nous fait toujours du mal.  


Le titre de l´article est un extrait de l´Album « D´ici et d´ailleurs » de la chanteuse Soha 

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