Bernard, Mister Dadié

Article : Bernard, Mister Dadié
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30 septembre 2014

Bernard, Mister Dadié

Dadié s´entretenant avec "ses visiteurs"
Dadié s´entretenant avec « ses visiteurs »

C´est la crème de ma visite à Abidjan. Quel enfant africain qui a appris à lire et écrire avec l´école africaine, ne connaîtrait pas Benard Dadié? Climbié, Le pagne noir et Kacou Ananzé, cette araignée rusée aux multiples tours. Cet auteur a bercé mon enfance, lui, Abdoulaye Sadji, Sembène Ousmane, Senghor et ses pairs de la Négritude. Je le croyais plus de ce monde tant sa vie si modeste et retirée fait de lui un oublié aujourd´hui. Disons chez la jeune génération. Devant moi, se tenait un monument de l´histoire de la littérature africaine. Je me dressais donc sur mon séant et avec attention je me disposais à boire ses paroles.

Homme de lettres et homme politique ivoirien, il reste aujourd´hui l´un des derniers poètes militants de l´ère de la Négritude. L´avoir rencontrer me ramena à mon enfance, mes premiers jours de classe au Cours Elémentaire deux (CE2), ma première fois de lire un extrait de Climbié: «La rentrée ! Le matin, de bonne heure, les enfants débouchaient de tous les côtés, de tous les coins, de toutes les ruelles, avec des sacs sous le bras, des cerceaux en mains. L’école bruyante, mouvementée, animée, revivait. Elle faisait penser au retour des tisserins dans les palmiers. Sa volée de moineaux lui était revenue. Partout des chants, des appels, des cris. Les anciens se saluaient, joyeusement, tandis que les nouveaux, dépaysés, cherchaient un maintien, désorientés, inquiets, ils s’accrochaient à leurs parents.» Cette partie du texte nous contait notre propre histoire d´écoliers les premiers jours de classes. C´était un texte magnifique mais aussi dur quand nos maîtres nous le donnaient en dictée.

Auteur prolifique comme témoigne nos trois heures d´horloge de discussion, Dadié a une appropriation décomplexée de son statut d’homme de lettre et politique mais surtout noir, comme en témoignent ces vers de son poême Je vous remercie mon Dieu :
«Je vous remercie mon Dieu de m’avoir créé Noir
Le blanc est une couleur de circonstance
Le noir, la couleur de tous les jours
Et je porte le Monde depuis l’aube des temps
Et mon rire sur le Monde, dans la nuit, crée le Jour
». J´avais demandé à l´homme ce qui l´avait inspiré ce poème. Il m´a dit les circonstances et j´en ai ris de bon coeur. Ce sont des situations que l´on vit au quotidien comme Africain aujourd´hui. Mais jamais il ne me serait venu à l´idée de coucher une réponse pareille sur feuille et en vers de surcroît.

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Nous avons demandé la route et la dernière photo aussi.

À 98 ans sonné, l´homme avait encore la force et les mots. il s´entretenait longtemps avec nous, me raconta son séjour en prison et la manifestation des femmes sur le pont de Grand-Bassam pour leur libération lui et ses compagnons de cellule. Voici le moment attendu: j´interpellai l´écrivain sur la place et le rôle assigné à la femme africaine dans la littérature africaine et précisement dans ses oeuvres à lui. Sacré David, comme s´il m´attendait lui et son compagnon Josué (le président de l´Asociation des auteurs ivoiriens). Ils me coupèrent court: la femme africaine aurait pu aussi écrire son histoire. Je cris à la tricherie car je n´attends que la réponse de l´auteur Dadié en personne. J´ai toujours rêvé poser cette question à un auteur de la Négritude en personne. « Dans une assemblée, ce sont les notables qui parlent `la place du chef » me répliqua Dadié. J´insistai pour avoir une réponse de lui. Elle vint enfin la réplique; la Négritude est une littérature de combat c´est la raison pour laquelle, il y´avait peu de place pour la femme.

Ce dimanche 11 Mai 2014, on s´est donné une poignée de mains Bernard Dadié, Josué Guebo, David Kpelly et moi et les lignes de nos mains se sont unies en faisceaux de lumières portant la réconciliation pour la Côte d´Ivoire et pour l´Afrique entière. En quittant la résidence de l´auteur, j´ai emporté l´image d´un homme, les plaisanteries d´un bon humoriste mais surtout une nouvelle vision de son époque et l´appréhension de mon époque.

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