Au fil de la liberté : le discours du quatre décembre 1990

Article : Au fil de la liberté : le discours du quatre décembre 1990
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4 décembre 2013

Au fil de la liberté : le discours du quatre décembre 1990

petrole

Le régime d’Hissène Habré vivait ses dernières heures. Le 30 novembre dans la soirée, HH comme les Tchadiens l´appelle a convoqué l´Assemblée Nationale. L´air était surchargé et son discours manquait de hargne et de fouges qu´on lui connaît. Il savait que tout est fini pour lui. Officiellement devant l´AN il se dit prêt à laisser le pouvoir s´il le faut. Revivez avec moi ce moment qui a bouleversé l´histoire d´un pays. Je vous raconte la marche du Tchad vers la démocratie.

Je n´oublierais jamais cette phrase prononcé par Hissène Habré : «si Deby veut le pouvoir, je le lui laisse». J´avais huit ans mais très portée sur la chose politique surtout que mon père écoute toujours la radio nuit et jour. C´est pour vous dire la radio de papa ne se tait que le temps de rechanger les piles. Aussi ce discours fut une non concordance avec les journaux parlés de la RNT qui nous annonce toujours la déroute des rebelles. Beaucoup de grandes personnes susurraient déjà tous que le départ d´Hissène Habré n´était qu´une question de temps. Il revenait du sommet de la Baule en France où, il a exprimé sa volonté de maintenir son régime dictatorial qu´il qualifiait de démocratie à la tchadienne.

Qui aurait cru que HH le président unificateur, le pacificateur, le lion du Nord et son lionceau partirait sur la pointe des pieds par une matinée de décembre? La RNT prise par les nouveaux maîtres de N`Djaména ne nous diffusait que de la musique. À six heures trente minutes, la matinale de RFI confirmait la nouvelle. On attendait tous de voir le nouveau visage de l´homme fort du Palais de N´Djaména. Les élèves du collège qui ont dû rebourser chemin apportaient au compte-goutte les échos de la ville. Papa sorti sa chaise longue et se plaça devant la concession pour ne rien manquer. Il acclamait entre deux écoutes les forces armées libératrices des Tchadiens qui entraient. Notre quartier reste jusqu´aujourd´hui la porte d´entrée de N´Djaména. On a vu tous les conquérant du pouvoir passer par là. On voyait donc des Toyota 4×4 couleur de sables et lourdement armées. L´une d´elle s´arrêta et les hommes armés demandèrent de l´eau à boire. Ils se montraient gentils et se voulaient confiants et consolants qu´ils eurent toute de suite la sympathie de la population de mon quartier.  Tout le monde était impatient, anxieux et curieux en même temps. On se demandait qui  serait le nouveau locataire du palais rose qui était en construction. Qu´aurait-il comme totem? HH avait un lionceau qu´il exhibait partout. Ce lionceau qui dévorerait quiconque n´est pas avec UNIR (Union Nationale pour l´Indépendance et la Révolution).  Chacun y allait de son anecdote sur le lionceau de l´UNIR. Entretemps le suspens durait du côté des nouveaux venus. Aucun discours officiel, aucune revendication, aucune déclaration. Les jours se succédaient et se ressemblaient tous.

Et la liberté donnée…

Les trois jours semblèrent une éternité puis, au soir du 4 décembre un visage apparu; celui d´Idriss Deby. Enfin il parla à la Nation. Son discours était simple, concis et crédible à l´époque. Il parlait de liberté offerte. « Je ne vous apporte ni or ni argent mais la liberté ». Imaginez des hommes qui ne pouvaient confier un secret à leurs femmes le soir sur leurs lits parce que celles-ci les trahiront dès le lever du jour. Un père qui ne peut donner son opinion politique dans son salon parce que sa fille le dénoncera. Le premier journal indépendant naquit sous le nom de N`Djaména Hebdo. Il diffusa la liste de tous les agents de la DDS. Des familles entières découvrirent le visage de leurs tantes et, oncles, sœurs, frères, époux et épouses, fils et filles, petits-fils avec leurs numéros d´agents de renseignement. Enfin on sut qui a trahi qui, qui a livré qui. Les langues se délirent et les paroles longtemps étouffées furent débitées. L´abcès tchadien s´est crevé ce décembre là et les plaies rouvertes. On pouvait enfin s´exprimer. D´autres journaux indépendants virent le jour. Je me souviens encore de la Roue, Contact. Les journalistes, les vrais rentrèrent de leurs exils.

                                                                 …fut vite reprise.

Les premières arrestations de journalistes reprirent. On censurait, saisissait des journaux. Aujourd´hui, près de vingt-trois ans d´essai démocratique, je me dis qu´on est toujours à l´état embryonnal. Quand ton ennemi a raison il faut le lui donner hein. Il faut reconnaître qu´il y´a eu des avancées mais nous faisons un pas en avant pour rebondir de deux pas en arrière. La presse est toujours traquée et les opposants crédibles souvent anéantis. Le multipartisme a échoué et l´opposition se vend elle-même à coût de poste ministériel. La géopolitique est érigée en système de gestion de la chose publique.

Depuis le vent de la démocratie, on a chanté au son de querelles intestines, parlé trop de nos illusions, travaillé très peu et beaucoup détourné nos richesses. Oui on se vole nous-même. On vole nos enfants et nos petits-enfants. Que celui qui ose dénonce. La prison est là pour le recevoir. Voici la liberté reçu en cadeau un quatre décembre 1990. Une démocratie donnée par les armes ne peut régner qu´à l´aide des armes, de l´intimidation et de la corruption.

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Commentaires

Ahmat Zéïdane Bichara
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Logiquement,ton article retrace le passé tchadien d'Habré avec un arrêt sur images psychologiques sur ce que vivent aujourd'hui les Tchadiens.En fait,là le bas blesse sur cette affaire,c'est le fait qu'au Tchad le pouvoir se remplace certes avec les armes,mais en termes d’ethnie aussi.Oui,si j'ose utilisé ce terme,car le 1er décembre 1990,je me trouvais chez moi à Bitkine au moment où je préparai à aborder le coeur de la 1ère A au lycée de Mongo,puisque cette année là précise,les Collégiens du Collège Charles Lwanga,n'avaient pas eu la chance d'y aller. Les prêtres jésuites avaient décidé que les lycéens du Guéra qui étudient à Sarh au CCL n'iront pas là bas,comme s'ils ressentaient déjà que la marmite d'Habré allait se percer. Pour couper court,si le 1er décembre nous avons vu un remplacement net des soldats d'Habré avec ceux de Dèby .Nous avons aussi ressenti le remplacement du ton, de la façon de parler des hommes d'Habré qui sont en majorité de Gorane, avec le ton des hommes d'Idriss Dèby qui furent en majorité de Zaghawas issus de son ethnie. j'ai entendu des adultes dire en arabe tchadien"Gouranes fato,Zaghawas djo,c'est-à-dire les Goranes sont partis,et les Zaghawas sont arrivés".Vu cette fausse note,moi qui suis déjà élève en 1ère A littéraire,j'ai aussitôt déduit,qu'il faut se méfier d'une marmite neuve,car elle n'est vous donnera pas forcement un bon rendement.A chacun son analyse de cette situation.Ndjodo,tu es une femme formidable dans ta plume germanique.Bravo pour la Rfi qui a su te pêcher de ce territoire d'Angela Markel.

Emile Bela
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Excellent billet. J'aime ceux de ce type. Je prepare un de similaire...
Merci pour toutes ces info.
Quand ton ennemi a raison il faut le lui donner. Tu as un joli style, je te le reconnaîts, sauf que toi tu n'es pas mon ennemis. Lol

Réndodjo Em-A Moundona
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Merci Emile! Tchiée, être ton énnemi moi, si serpent monte vélo c´est qu´il a trouvé moyen de pédaler dèh, ;-)

C´est juste un art de dire qu´il faut reconnaître les oeuvres d´une personne et les apprécier aussi.

Réndodjo Em-A Moundona
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