«On ne peut se défaire de l´endroit d´où l´on vient» (2)

4 octobre 2012

«On ne peut se défaire de l´endroit d´où l´on vient» (2)

 

Une tasse de thé à la menthe me ferait probablement du bien. Penser à mon Tchad étant souvent source de migraine pour moi. Bien que parfois je me dis, j´ai eu la grâce de naître dans un pays spécial, un des berceaux de l´humanité, fondé sur d´ancien royaumes sahéliens tels que le royaume du Ouaddaï, le Kanem-Bornou et le Baguirmi. Alors je me prépare ce thé. Celui dont seule mes tantes arabes connaissent le secret de cuisson. Huuummm le bon parfum poivré et rafraîchissant de la menthe et du clou de girofle. Oui, j´ai bien dit mes tantes arabes. Car j´en ai beaucoup et de très bonnes tantes d´ailleurs. Ma famille échappe bien à cette sentence géo-politico-religieuse entre le Nord et le Sud du Tchad. Ainsi par le lien du mariage, j´ai des cousins Abderamane, Fatimé, Zara, Saleh, … issus des tantes Kadidja ou Aicha. Mais c´est quand bien même un fait rare dans un pays dont les dirigeants, pour masquer les réalités cruelles de la misère dans laquelle le peuple croupit, ont érigé le clanisme et l´appartenance à une religion quelconque en système de gestion de la chose publique. Mon pays est un otage d´une parterre de bons militaires qui lui ont apporté la démocratie un matin de décembre 1990. Cette démocratie si brumeuse que ce brouillard hivernal dont elle s´est couverte un matin du premier décembre. Disons une coquille qu´on a pris le soin de rembourrer avec de la dictature, le népotisme et le clientélisme avant de la servir aux Tchadiens. Seul un président-fondateur, celui-là même qui nous a apporté « ni or, ni argent, mais la liberté», est le seul à manipuler cette démocratie-dictature. Ce qu´il fait si bien depuis 22 ans. Alors nous tchadiens ne voulons plus un autre président, na, na, na. Il donne au peuple tout ce dont il a besoin alors pourquoi un autre ? Ne dit- on pas mieux vaut le démon que l´on connait que l´ange dont on ne connait pas ? Ainsi mes chers compatriotes renouvellent chaque cinq la confiance qu´ils ont en leur Moise national, celui-là qui nous délivra un brumeux matin du 1er décembre de la dictature.
A cet instant précis de ma méditation, je ne pus m´empêcher de revoir ma ville N´Djamena la belle avec tes rues englouties sous les ordures et déchets ménagers. N´Djaména la vitrine de l´Afrique aux ruelles boueuses dans lesquelles je pataugeais toute petite. A mes vingt ans, l´âge à laquelle on réalise sa féminité, j´ai appris à côtoyer les immondices. Maman, laisse-moi te dire ; quel écart entre mes deux mondes : N´Djaména et Göttingen. Cette dernière et si propre, si ordonnée que je ne peux te dire les tant de fois que je m´y suis égarée. Et parlant d´ordure alors, ma foi. Il m´a fallu coller à ma porte une fiche de tri afin que je ne me perde pas. Il y´a sept poubelles et un sac jaune. Chaque ordure ménagère à son container. Le vert pour les déchets biodégradables, le bleu pour tous mes papiers-brouillons –tu le sais bien que je suis repartie à l´école- le noir pour toutes les viandes ou poissons crus, les débris d´assiettes, le sac de l´aspirateur, … te rappelais-tu comment je cassais les verres quand j´étais petite, et bien je n´ai pas changé. Sauf qu´ici, il me faut trier les débris des verres par couleur une fois les avoir brisé. Chaque couleur à sa poubelle. Je n´ose pensé au travail qui nous attend quand N´Djaména sera effectivement cette vitrine de l´Afrique dont on rêve d´en faire. Bon si ce ne fut pas un simple slogan de campagne. Bon Dieu que les campagnes électorales sont si éloquentes avec leurs slogan à endormir même un cadavre.
Je me souviens encore de celle-ci, IDI le bâtisseur. Au menu du bâtisseur, l´inauguration pompeuse d´un pont à double voie en présence des représentants des chancelleries accréditées au Tchad. Un mois après l’inauguration, il se creusait déjà les premiers nids de poule. Il s´ensuite une série de coupure du ruban pour inaugurer tel lycée, telle école dans telle ou telle autre région. Et les pauvres diplomates qui au nom de la diplomatie font le voyage sur nos routes dénivelées pour orner la tribune de leurs présences. Je me rappellerai longtemps les échos du rire de certains coopérants le soir venu, dans leurs salons feutrés. Surtout qu´ils savent bien eux et moi que ces ponts, lycées et écoles sont construits au frais du contribuable tchadien. Mais la bêtise semble africaine puis que le peuple est maintenu dans l´ignorance pour être mieux exploité. Il croit vraiment que ces bâtiments publics sont vraiment les cadeaux du bâtisseur. Du coup la seule station radio-télévision étatique est inondé de communiqués de remerciement de tel ou tel canton et village. Voilà pourquoi maman, grand-mère ne remarque pas que ces ponts, écoles et marchés que le bienfaiteur national lui offrait si gracieusement ne résulte que de ces cinq cent francs d´amende que le policier municipal rackette lors des marchés hebdomadaires. Maman, tu ne peux savoir cette colère qui couvait en moi quand je revoyais le film de ce politicien en campagne. L´illustre politicien, futur président descendit donc voir son électorat. Il était tiré à quatre épingle dans un ensemble costume signé haute couture dont son ventre si rassasié soutenait à peine la couture. Et il déballait son charabia devant une population affamée et couvert d´haillons à qui il promettait de remplir le panier si elle venait à l´élire. Il rotait après chaque phrase pendant que l´électorat bâillait de faim. Et le show continue. Le politicien débitait donc son chapelet en français au beau milieu d´un village où, le plus instruit n´a pu franchir le cap du cours élémentaire, où la seule école est construite en bois de bambous. N´est-ce pas là un beau tableau de la politique tchadienne?
Te connaissant, je sais que tu t´es déjà dit, sacrée folle enfant, il n´y a rien de beau dans ce tableau de la politique tchadienne et même africaine si l´on scrute le continent. Bon Dieu, c´est mal connaître cette vieille Afrique avec ses pays indépendants depuis cinquante ans. La nouvelle sensation, les cinquantenaires des indépendances fêtés à tambours battant. N´Djaména en a profité pour renaître. Après un mandat social fait de la cherté de la vie, l´augmentation des prix des denrées alimentaires, il faut bien renaître. La  RENAISSANCE Avec une maire analphabète et un climat social tendu. Et tandis que tout le pays est en grève sèche, notre IDI national que j´envie beaucoup la promptitude de bon soldat crie sa colère d´être à peine compris par ses compatriotes. S´il pouvait expliquer aux tchadiens la liberté dont jouissent les détourneurs de biens publics.
Maman, en me lisant tu comprends maintenant mieux pourquoi j´ai voulu partir sans tout le théâtre. Tu sais aussi pourquoi partir est devenu pour  bien de jeunes, une issue inévitable. Il le fallait bien, car parfois il faut apprendre à dire non. Tu te disais que tu me perdras pour toujours. Et moi je te rassurais qu´on se reverra.  Tu te disais encore une de mes paroles vaines. Regarde, je te prouve que je n´ai jamais cesser de penser à toi et à mon cher pays. Prends cela comme ma garantie d´un retour. Oui je reviendrais un jour quand on aura fait de ma ville la vitrine. Ce jour-là, je rentrerai. Car nul peut oublier d´où il vient.
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