Moi petite fille de l´exciseuse, une conversation avec ma grand-mère
Dur, dur de parler de l´excision lorsque l’on vient soit même d´une famille d´exciseuses. Que voulez-vous, on ne choisit pas sa famille mais on peut aller outre le chemin de sa famille. Ici se trouvent une partie de mes conversations avec ma grande tante cette exciseuse qui m’a une fois donné les vraies raisons de l´excision. Je n’accuse pas, je ne plaide pas coupable, je transcris fidèlement ses propos. Oui j’ai échappé à son couteau. Elle en veut à mon père et moi je les aime tous les deux. Chacun à sa manière a voulu faire du bien à sa progéniture que nous sommes mes sœurs et moi.
Ceci est un article que je me serais bien passée d’écrire. Voyez-vous, ce genre de publications que vous hésitez à produire car elles sont une partie de vous. C’est l’histoire d’une personne qu’on aime mais qui a fait des fautes qu’il faut reconnaître. Je veux parler de cette grand-mère qui fut une exciseuse. Je reviens sur nos discussions avec elle quand elle fut encore en vie. J’ai toujours voulu savoir pourquoi elle en voulait tant à notre père qui a refusé de nous laisser passer sous la lame de son couteau. C´est comme si je soulevais un pan de voile sur un secret familial. Qu´importe si cela doit expliquer certains refus, éclaircir certains doutes, je le ferai donc moi, petite fille de l’exciseuse.
Nous avons, mes sœurs et moi, été sauvé de justesse des griffes de la «tradition». La tante de mon père est une exciseuse attitrée, gardienne de la tradition ancestrale. Sa fierté a toujours été d’exciser toutes ses petites nièces jusqu’au jour où, elle buta sur le refus de mon père de nous laisser emprunter avec elle le chemin de la forêt sacrée. Ses rêves de voir une de nous hériter de son savoir ancestral s’effondra ainsi. Elle a toujours vécu avec le remords et le regret qu’elle laissait par moment échapper quand elle nous observait à la corvée. Curieuse, j’ai toujours embêté grande tante avec mes questions sur les raisons véritables de cette culture de l’excision. Cette lame qui tailladait les parties intimes des jeunes filles, c’était «le couteau que m’a légué ma grand-mère. C’est un couteau qui traverse le temps. On ne le lave pas, on ne l’aiguise pas, on ne le met pas au feu non plus». Un nid de microbes pensait ma petite tête à l’époque.
« Non » se justifiait toujours tantine. «C’est avant tout un rituel tribal et ce n´est jamais sale le couteau. Il a nettoyé la «chose» proprement pour les maris de beaucoup de femmes. Il le fait et le fera toujours». J´ai compris dans les demi-mots de ma grande tante que nous appelons affectueusement grand-mère que, le but de l´excision est de rendre les filles moins frivoles, une sorte de ceinture de chasteté. À l’origine, cela se voulait une sorte d´éducation à la vie adulte, à la vie de femme mariée. Cette phase de la vie doit rendre les filles plus dociles aussi, et pour elle, c’est les ancêtres qui l’imposeraient. Toute femme devrait donc passer par là.
Dans notre milieu, il fut un longtemps où, nous ne fûmes que des petites « Koye » ou effrontées. Mais père a pris le soin de nous apprendre à être fortes face aux injures et autres discriminations. Pour ces femmes excisées, les non-excisées n’ont pas de valeur aux yeux de la société dans laquelle elles évoluent. Notre père nous a montré que la valeur d´une femme est ailleurs. Bravement et fière j’ai parfois passée ma route sous les regards qui narguent et qui se veulent hautains. Qu´importe, ma tête est bien faite par le père.
L´excision c´est…
Une tradition qui marque le passage de l’état d’enfant à l’état de femme. Les trois mois et demi où la fille va vivre dans la forêt sacrée, la matrone et ses acolytes enseignent les secrets de la vie comme comment tenir et retenir son mari au foyer, développer tous les sens de la femme : cette sensibilité féminine, l´auto-thérapie en cas de problème, le pouvoir d’une vraie femme africaine en quelle sorte.
Je compris au fil des explications de grand-mère que cette pratique répond aussi au besoin de contrôle des hommes sur les femmes. La société africaine à l’époque vivant d´une économie agro-pastorale est aussi composée de chasseurs et de guerriers. Les hommes étaient sur les routes des mois durant. Il fallait bien trouver un moyen de mutiler la femme et lui ôter ses instincts de femme. Bref, l’excision fut trouvée pour emprisonner la libido de la femme afin de mieux posséder et contrôler cette dernière. Ceci est ma conclusion. Pour grand-mère, elle nettoyait juste la femme, la rendait propre pour le mari. Une question me taraude l´esprit : est-ce que le clitoris serait une impureté selon cette tradition? Elle arrive très tard cette question. Elle n´est plus là pour me répondre. Qu´importe, la jeune génération des hommes a sa petite réponse. Et moi aussi.
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