Février de nos souvenirs : comment la guerre de 2008 a recollé le tissu social tchadien

Article : Février de nos souvenirs : comment la guerre de 2008 a recollé le tissu social tchadien
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3 février 2014

Février de nos souvenirs : comment la guerre de 2008 a recollé le tissu social tchadien

Forces rebelles fait prisoniers de guerre à N´Djaména. Image DR
Forces rebelles fait prisoniers de guerre à N´Djaména. Image DR

La guerre de février 2008 peut être résumé en chiffre : 730 personnes tuées entre le 28 janvier et le 8 février 2008 par 42 «bombes» avaient été lâchées depuis des hélicoptères, dont 37 avaient explosé selon le rapport d´Amnesty International. Au plus fort des combats, nous n’avions plus la possibilité de fuir. Beaucoup d´entre nous n’avaient qu´attendre la fin des combats pour partir. 50 000 Tchadiens ont franchi la frontière pour trouver refuge au Cameroun. Survivre après avoir vu la mort, c´est l´instinct qui a prévalu. Six ans après, aujourd´hui en cette date anniversaire, je me demande où en est-on au Tchad?

Le 01 février en se couchant le soir, les N´Djaménois n´imaginaient pas qu´ils seront réveillés par des bruits d´armes lourdes au lendemain. C’est vers 8h00 du matin à N’Djamena que les combats ont commencé, à une vingtaine de kilomètres au Nord de la capitale, les positions de l’armée tchadienne étant très rapidement enfoncées par les forces rebelles, bien équipées, montées à bord de véhicules 4×4 armés de mitrailleuses lourdes, et dotées de lance-roquettes et de fusils d’assaut Kalachnikov. Les forces rebelles tchadiennes ont pris N’Djamena au début de la matinée du 2 février 2008, se rendant maître de la quasi-totalité de la capitale à l’exception du Palais présidentiel. Le Vendredi 1er février, à Massaguet, à 50 kilomètres environ de N’Djamena, le président tchadien Idriss Déby Itno avait combattu lui-même afin de stopper l’avancée rebelle sur la capitale. Mais les dieux de la guerre ont déserté N´Djaména dont la coalition s´en empara. Trois jours d´affilés, on était terrés comme dans les maisons sans la moindre idée si on survivrait les minutes suivantes. Tirs d´armes lourdes, éclats de bombes, bruits d´hélicoptères survolant la ville à basse altitude.

Ce sont six ans passés tous ces cauchemars. Je me demande qu´est ce qui s´est bien passé après cette offensive en matière de continuité d´un Etat tchadien? Comment vivent les Tchadiens après? Quels sentiments animent encore la génération victime de cette guerre?

Socialement, les tchadiens ont appris à surmonter leurs haines et réaliser que le mal n´est pas absolument mon voisin et s´ils devraient survivre, il fallait se tendre la main. Dans les camps et les hôtels de Kousseri, on a vu le Nordiste et le Sudiste s´entraider.  La scène qui m´a interpellé est celle-ci : une femme sudiste à bout de souffle dans le rang pour l´unique guichet toute transpirante. Le jeune homme, un musulman qui observait sorti et revient quelques minutes avec une bouteille de sucrerie qu´il tendit à la dame. Tenez et buvez madame; vous risquez une hypoglycémie. Vous tremblez depuis quelques minutes. Qui aurait cru en temps normal à une scène pareille ? Ce 2 février, nous avons compris les groupes d’opposition armés ne s´intéressaient à rien sauf le pouvoir et que nos vies ne valaient rien contre cela. Ils n´ont pas hésité à mettre celles-ci en péril. Ils n’ont pas choisi de mener leurs attaques loin des zones où vivent les populations civiles. Ils nous ont utilisé, musulmans comme chrétiens, comme bouclier humain. En un mot, les tchadiens ont compris la leçon. Une guerre c’est faire un bond de 20 ans en arrière.

Sur le plan juridique, l’État tchadien a durci ses lois à la sortie de cet assaut créant ce paysage juridique liberticide. Tout commence avec l’ordonnance 05 promulgué le 20 février soit quelques jours après l´assaut. La presse fut rapidement mise sous coupe. Il s´en est suivi le nettoyage des groupes armées, le renforcement des capacités de l’armées. On imposa l´état d´urgence en a profité pour déguerpir des quartiers. Le revers de la médaille c´est cette passivité de la population qui semble protéger la  »stabilité » acquise. La prise de conscience de la jeune génération des méfaits des coups d’états est un gage pour la reconstruction du tissu social disloqué par plus de trente années de guerres socioreligieuses et fratricides entrainant d´éternels recommencements sur le plan économique.

Politiquement on stagne sur certains plans. La mémoire d´Ibni Oumar hante les esprits mais le blason  diplomatique se redore malgré cela avec l´entrée au conseil non permanent de l´ONU, l´intervention au Mali au côté de l´opération Serval même si, il faut encore prouver la neutralité du Tchad dans le conflit centrafricain.

Six ans après, N`Djaména s´élève majestueuse des ruines de février 2008. On construit, on investit, on planifie de nouveaux chantiers en dépit encore d´une électrification lente du pays ainsi qu´un manque de réseau internet performant qui handicapent le développement de cette capitale. Cette actuelle quiétude, cette soif de construire qui anime enfin la jeune génération, on a mis une trente d´année à la germer et laisser mûrir dans l´esprit de chaque jeune qui, semble ne plus vouloir revivre un autre sinistre février. Comme quoi, tous les grands malheurs du Tchad sont arrivés de l´Orient un certain matin de février : 1979 et 2008. Si ce n´est le mois d´avril : 1975 et 2006.

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