Le chemin de l´Eldorado
Elle est jeune, rêvait d’une vie épanouie. Une vie dans laquelle elle vivrait ses fantasmes. Elle décida de partir par la route pour l’Europe. De son Cameroun natal à la Belgique, elle subit viols répétés, les menaces et arnaques des passeurs maures et arabes. Elle endure pour atteindre l’Eldorado. Elle, c’est cette coiffeuse de Matongué qui m’a confié un pan de sa vie.
Son périple vers l’Eldorado aurait pu écrire à lui seul un livre biographie d’un migrant qui se respecte. Je me croyais dans le scénario d’un de ces films qui vous fait froid au encore au dos lorsque le générique de la fin résonne.
Elle me coiffe déjà depuis deux ans et sait de moi que j’ai passé trois années de ma vie au Cameroun et que je connais bien le marché Mokolo à Yaoundé et le marché Congo de Douala. En fait, nous avons nos petites histoires et anecdotes sur le Cameroun. Elle s’est toujours émerveillée que je parcoure des kilomètres pour lui confier mes cheveux (je n’en ai pas beaucoup alors je ne le donne pas à n’importe qui pour me les maltraiter) et moi je suis adulée par son savoir-faire et son calme, cette manière si appliquée qu’elle a de faire son travail. Ce sont deux femmes avec une certaine sympathie l’une pour l’autre. J’ai choisi de la nommer elle car j’ai promis de lui accorder l’anonymat total.
Tu viens de la région flamande ?, me demandait-elle la première fois, et je répondis non. Tu t’en sors apparemment bien de l’autre côté avec la langue alors à t’écouter au téléphone. Je lui raconte alors mais difficultés à me faire comprendre à cause de mon accent particulier. En se racontant les difficultés que nous rencontrons en tant qu’étrangers et Africains en arrivant ici. Nous voici entrain de raconter nos routes vers l’Eldorado européen. Beaucoup d’immigrés en narrant leur vie en Europe omettent toujours de conter la route qui les y a mené. Ils font l’éloge de l’immigration clandestine et ils ignorent sciemment de dire la souffrance que ça implique. Avant de vivre ce luxe européen qu’ils repartent vendre les illusions aux autres jeunes, il y a d’abord une déchirure profonde qu’ils vivent. De la marche interminable dans le désert saharien, l’exploitation des passeurs arabes aux viols que les filles subissent, c’est l´histoire de jeunes forcés de quitter leurs proches qui leur sont chers pour échapper à la misère qui les accable dans leurs pays d’origine.
Elle me raconte donc l’histoire de ces filles qui prennent la route vers l’Europe. Cela peut être aussi son histoire à elle qui sait. Toute immigrée peut se retrouver au travers de ces filles et leurs souffrances. Dans un salon entre femmes ça parle de tout et de rien. Tout le monde connait tout le monde et il suffit qu’une passe pour qu’on dépose son dossier. Alors elle passa avec sa nouvelle tenue et sa brésilienne jusqu’au reins. C’était suffisant pour soulever la question de son identité, la souffrance de sa famille au pays et la misère qu’elle a vécu lors de la traversée. Curieuse, je me renseigne un peu plus. «Ma co (entendez copine), je dis que hein, les filles qui traversent à pieds là souffrent. Je dis bien elles souffrent. Si tu veux embarquer comme fille en premier, il faut payer en nature. Je dis que hein, on te viole si tu veux ou pas en plus de ton argent. Les passeurs vont des choses ici dehors avec ces filles.»
C’est parti pour que chacune raconte ce qu’elle sait de l’arrivée d’une telle ou une telle autre. Elles payent chers jusqu’aux portes de l’Europe, les abris de fortunes dans les forêts maghrébines pour embarquer sur les bateaux certains passeurs les acceptent que si ces filles se livrent. Contraintes, elles acceptent et cèdent parfois à tout un groupe de passeurs. Comment refuser lorsqu’on a aux trousses des prêteurs d’argent qui ont permis le voyage jusqu’aux portes du paradis ? Retourner au pays d’origine serait un échec que la famille ne serait pas prête à cautionner. Ceci explique l’avidité de ces immigrées clandestines vis-à-vis des euros. « Elles ont toutes le sang dans les yeux les filles que tu voient ici dehors à cause de leurs souffrances. Que tu t’amuses avec son centime, elle te finit. Quand tu les vois dans les rue de Matongué ici là, elles sont prêtes à tout.» Oui, il est évident qu’il faut arriver à Matongué aux alentours de neuf heures pour se rendre compte de la réalité de l’immigration clandestine : je ne sais pas s’il faut parler du milieu de la nuit ou de la journée mais des filles plus dévêtues que vêtues devant les dancings et aux recoins des rues. Des jeunes hommes qui jouent à cache-cache avec la police belge. Ils font tout et ne font rien pourvu que cela rapporte d’argent.
«Comment a été ton voyage à toi jusqu’ici puisque tu n’es ni en regroupement familial ni étudiante ?», risque-je. «Hum, c’était quand même difficile. Je dirais même très difficile». Comprenne donc qui pourra.
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