Tchad; Levée de fond contre un jugement liberticide

2 septembre 2013

Tchad; Levée de fond contre un jugement liberticide

Alors que le monde célébrait le blogday, le Tchad condamnait un blogueur et deux journalistes à des peines de sursis avec une amende d´un million que doit payer Avenir de la Tchiré. Une consternation pour les lecteurs nationaux de son hebdomadaire Abba Gardi car, un million ce sont beaucoup d´argent pour une entreprise de presse tchadienne. Mais la diaspora tchadienne vient d´initier une quête pour payer la somme qu´exige la justice. Un acte contre la justice tchadienne qui devient de plus en plus liberticide. Nous avons rencontré l´initiateur de la quête, l´artiste et l´auteur-compositeur Kaar Kaas Sonn.

Relévé bancaire du Compte abritant la quête/ Ph KKS
Relévé bancaire du Compte abritant la quête/ Ph KKS

1- Kaar Kaas Sonn, comment vous portez-vous aujourd’hui après votre grève de faim et surtout après la libération des journalistes pour qui, vous avez observé cette grève?

Bonjour et merci!

Je me porte très bien après l’épreuve de la grève de la faim. C’est l’occasion de remercier toutes celles et tous ceux qui se sont sentis concernés par ce geste de désespoir et m’ont apporté leur soutien !

Par ailleurs, je suis soulagé, en partie, de la libération des journalistes. Soulagé en partie seulement, car le sursis est une vraie menace contre la liberté d’expression, une épée de Damoclès qui pend au-dessus de la tête des acteurs de l’information. En analysant ce sursis au regard des chefs d’inculpation -« complot d’atteinte à l’ordre public n’ayant pas abouti », « diffamation », etc.-  cela trahit expressément la volonté des autorités d’intimider les journalistes. C’est aussi une manière détournée d’imposer l’autocensure aux journalistes. Cela est inacceptable et n’est possible que dans un système de tyrannie. J’emboîte le pas à ceux qui demandent aux autorités d’abandonner toutes les charges contre les journalistes ainsi que l’annulation de l’amende, qui n’est qu’un autre moyen d’affaiblir un journal qui éprouve déjà des difficultés pour survivre.

Enfin, c’est un contresens à ce que le président de la république lui-même prétend mettre en place en matière de démocratie. Il n’échappera à personne que des journalistes et des opposants mis en prison n’est nullement l’apanage des démocraties. Ou alors, il cautionne ce recul et l’effacement de ses propres efforts pour construire des institutions démocratiques au Tchad. Vous remarquerez que depuis quelques temps, le Tchad recule en matière de liberté de la presse. À moins d’accepter le principe qu’il n’y a qu’au Tchad où l’on avance en reculant!

Pensez-vous que le peuple tchadien est assez mature aujourd’hui pour participer activement à cette levée de fonds? Quel message voulez-vous d´ailleurs transmettre par cette action?

Aucun peuple n’est plus mâture qu’un autre. Il se trouve que nous n’avions pas eu des Gandhi, des Mandela au Tchad pour nous donner le courage et l’envie de faire des choses positives. Dès l’indépendance, nos dirigeants avaient clairement choisi la querelle -peut-être pour masquer quelque scrupule- au lieu de la construction de la paix. Et cet héritage, très lourd, est un vrai boulet pour nous. Il est tellement omniprésent et gouverne presque tous nos gestes. Or, les Tchadiens sont un peuple chaleureux, valeureux et hospitalier et parfaitement en mesure de participer à une telle action. Il faut savoir que ce sont des Tchadiens eux-mêmes qui ont suggéré l’idée de collecter les fonds pour soutenir la liberté d’expression. C’est peut-être du jamais vu, mais les circonstances forgent les hommes et cela est hautement appréciable.

Oui, des Tchadiens apportent aujourd’hui leur contribution à ce fonds ; je les en remercie infiniment. N’oubliez pas que des initiatives de ce genre ne sont pas souvent relayées et restent dans l’ombre. Souvenez-vous que lorsque de Gaulle allait se cacher en Angleterre pour lancer l’appel du 18 juin contre les occupants allemands, il ne faisait pas l’unanimité. Mais cet embryon de résistance à réussi à donner ce que l’on sait. C’est la foi à la liberté qu’il s’agit de défendre ; c’est une valeur que tout homme épris d’amour, de paix et de lucidité porte en lui. La liberté, c’est ce qui fait la beauté et la bonté de l’Homme. Comme disait Mandela « un homme qui prive un autre homme de sa liberté est prisonnier de la haine, des préjugés et de l’étroitesse d’esprit »

La portée, la signification de cette collecte, c’est de dire aussi -avec les mots du discours de Mandela de 1994- que « aucun de nous, en agissant seul, ne peut atteindre le succès ». Et que si la liberté est respectée au Tchad, c’est un succès, une victoire de tous.

Kaar Kaas Sonn, vous êtes aussi citoyen français, quels sont vos rapports avec le Tchad votre pays d´origine?

Je suis très attaché au Tchad. C’est pourquoi tout ce qui est de nature à écorner l’image de ce pays me touche éperdument.

KKS

Ne craignez-vous pas des représailles en réponse à votre engagement?

Dire que je ne crains pas ce type de représailles serait mentir et inconscient. Mais il s’agit d’un combat pour la liberté et non pas un combat contre quelqu’un. C’est une lutte positive. L’histoire montre que s’en prendre à quelqu’un qui se bat pour une cause juste ne fait que renforcer la cause pour laquelle il se bat. Rappelez-vous de Jésus, de Gandhi, de Mandela. Toutes ces figures défendaient une cause juste. Les représailles sur eux n’ont eu qu’un seul effet, les rendre universels, intemporels.

Vous êtes écrivain et chanteur, auteur-compositeur, quel accueil ont vos oeuvres au Tchad? Personnellement je n´ai lu aucun de vos livres.

Je ne sais pas ce qu’on fait de mes livres au Tchad, la lecture n’est pas une culture chez nous. Pour ce qui est de la musique, rares sont les radios qui la diffusent. Le système mis en place au Tchad depuis 23 ans fonctionne en affamant ceux qui parlent. Du coup, les gens ne cherchent qu’à manger en se plaçant clairement dans le sillage de l’orientation des pouvoirs politiques, en suivant l’adage « la bouche qui mange ne parle pas »! Ne soyez pas étonnés si la seule info qu’on diffuse sur la radio c’est « Le président de la république » ; il va sans dire que des voix discordantes ne soient pas bienvenues. Mais cela ne m’impressionne guère. La dernière fois que j’étais au Tchad, en 2011, cela me rappelait étrangement la période Habré. Où le pays entier était devenu une sorte de grande chorale qui diffuse les louanges du président de la république, les chefs de chorale étant les ministres de la république. Où les gens sont devenus délateurs pour le compte de la police politique. Or, je continue d’écrire. Pour témoigner de mon époque. Pour capter ces moments afin de les figer dans des pages et sur des disques pour la postérité.

Vous êtes un enseignant extrêmement qualifié, or l´école tchadienne se porte très mal aujourd’hui. Les principaux acteurs se rejettent mutuellement le tort. Où se trouve le mal? À qui la faute?

Petit rappel , je ne suis pas issu du corps enseignant. J’ai fait des études administratives et techniques. Il va sans dire que mon analyse de l’école tchadienne ne sera pas totalement objective.

La faute est partagée. Les Tchadiens sont en grande partie responsables que ce qui arrive à l’éducation nationale. Tout silence est une prise de position dans cette question. Il y a sûrement des gens qui savent et ne disent rien en laissant faire.

La première difficulté est d’ordre institutionnel. On a l’impression que rien n’est préparé et que les choses se passent sans préparation ; surtout sans suivi. Comme la bonne ou mauvaise marche des affaires repose presque exclusivement sur l’épaule du chef de l’État, c’est possible que les choses ne fonctionnent pas comme il se doit. Par exemple, pour faire l’état des lieux de l’enseignement, on en appelle au chef de l’État. Ensuite, lorsque des recommandations et décisions issues de ces états des lieux sont actés, on demande encore au chef de l’État la possibilité de les appliquer. Les nominations ne prennent pas compte des compétences et les pesanteurs nocives du clientélisme n’y sont pas étrangères. Même l’école est politisée. Ce n’est pas normal.

Le second hic doit se trouver au niveau des programmes qui sont inadaptés au contexte socio-économique et culturel du Tchad. Nous apprenons la géographie de l’Urss, des Usa, du Japon, comme pour mieux nous mystifier. Les programmes de la colonisation doivent être remplacés, réadaptés. Quand vous trouvez aujourd’hui encore des séries A, C, D, G etc. cela craint. Qu’est-ce qui nous empêche d’adapter l’école à nos réalités d’aujourd’hui, de demain? Aux réalités d’un monde sans cesse changeant? Prenez par exemple les horaires de cours. Tout le monde sait qu’il fait très chaud au Tchad. Or, nous faisons des cours à 45 degré et plus. Comment peut-on être productif avec une telle chaleur. Nous pourrions par exemple faire commencer les cours un peu plus tôt le matin. Ou mettre les vacances scolaires entre avril et mai où il fait trop chaud, etc.

Un troisième écueil pourrait se trouver dans le non transfert des études. Voyez-vous, nous étudions à l’étranger des programmes propres aux pays dans lesquels ces études sont menées. Une fois de retour au pays, il n’y a pas une transformation, une adaptation de ces études au contexte local. Combien de Tchadiens rentrent avec une thèse rédigée à l’étranger et débarquent directement dans l’administration, en total déphasage avec la réalité du terrain? Peut-être que l’État pourrait exiger, avant toute nomination, une espèce de petite thèse de la thèse principale qui soit adaptée aux besoins du Tchad.

Une dernière difficulté à soulever ici est certainement le fait que des gens s’évertuent à aller apprendre des choses à l’école pendant que d’autres occupent des postes dans l’administration sans en avoir la moindre compétence, juste parce qu’ils sont pistonnés. Personne ne peut empêcher le piston, mais qu’on pistonne des gens compétents, le pays en bénéficierait. Tant que nommer une personne qui est de votre parti -le seul parti État qui existe!-, qui est votre parent, votre cousin restera la norme, on n’en sortira pas. Les pouvoirs politiques le savent. C’est pourquoi on peut légitimement dire que c’est un choix politique délibéré de laisser ces choses en l’état.

Avez-vous déjà pensé à apporter votre contribution pour pallier aux maux qui gangrènent le système éducatif tchadien?

Je n’ai aucun mandat officiel. Il se trouve simplement que je suis artiste et j’essaie par le canal des arts d’attirer l’attention sur ce qui ce fait au Tchad. Vu le niveau de politisation extrêmement médiocre -excusez le pléonasme!- du pays, on a l’impression que les Tchadiens ont clairement fait le choix de la médiocrité et pensent qu’un pays se développe juste en accumulant des diplômes, en construisant des infrastructures en tous genres, en nommant des gens par affinité. Un pays, ce n’est pas une famille, un village!

Je suis effaré de constater combien de grosses têtes tchadiennes il y a à travers le monde! Il suffirait de trouver le moyen de les impliquer dans la construction d’un système éducatif performant, en les mettant en contact avec les acteurs sur le terrain. Le Pnud, l’Unicef sont là pour donner le coup de pouce nécessaire.

Par ailleurs, j’ai fait des demandes pour intervenir à l’université mais je n’ai pas toujours une suite.

Le développement c’est le changement. Or tout changement est un risque. J’ai l’impression que nous avons peur de prendre le risque d’aller de l’avant et campons sur nos acquis parfaitement désuets.

Dans dix ans, ce que je viens de dire sera encore d’actualité! Ce n’est pas une prémonition, j’en conviens.

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Commentaires

Josianekouagheu
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Rendodjo, je te le dis toujours. Bloguer c'est avant tout dénoncer, rendre public des situations. Et vraiment, j'aime la véracité de ce billet, si bien construit. Et surtout beaucoup de courage à Kaar Kaas Sonn. Courage!

Aphtal CISSE
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Grande soeur, je désire rencontrer Kaar Kaas Sonn

Réndodjo Em-A Moundona
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Je t'envoie son links dès ce soir si non regarde sur ma liste d'amis facebook. Je lui en parlerais au passage.